D’après la Ligue contre le cancer, 1 000 personnes apprennent leur maladie chaque jour en France. Quelque 40 % d’entre elles ont un emploi, dont une sur trois finira par le quitter dans les deux ans après le diagnostic. Interview de Karine Chossinand, devenue coach RNCP, spécialisée en cancérologie et maladies chroniques, après avoir exercé plus de dix ans en électroradiologie médicale auprès de patients atteints de cancer, maladies aiguës et chroniques. .

Parler du cancer en entreprise, est-ce toujours tabou en 2019 ?
Oui, parler du cancer au travail est toujours tabou en 2019. Il est très fréquent de trouver un manager mal à l’aise avec le sujet et des patients ou d’anciens malades ne sachant pas comment communiquer autour de leur maladie à la machine à café. Si vous saviez le nombre de fois où l’on m’a dit : “Je suis là pour mon collègue (ou mon ami), je voudrai lui dire que je peux l’aider… que s’il a besoin… mais je ne sais pas comment lui dire…” Par ailleurs, l’annonce de la maladie au travail est toujours sujette à beaucoup de réflexion. En effet, les salariés malades ont peur d’être mis à l’écart dans l’organigramme, d’être destitués de leurs équipes ou de ne plus pouvoir être candidats à des promotions ou des postes à challenges. Le cancer est associé dans l’esprit des Français à un âge avancé. Or, ma coachée la plus jeune à 21 ans !

Conseillez-vous de continuer à travailler pendant les traitements ? 
Travailler pendant les traitements est une chose délicate, que je traite, personnellement, avec mes coachés, au cas par cas. Cela peut être une bonne idée comme une très mauvaise. J’ai croisé plus de 6000 patients atteints de cancer durant ma vie de professionnelle de santé et je peux vous dire que chacun vit le cancer à sa manière en fonction de ce qu’il peut. En effet, tout dépend du cancer, de sa localisation, du travail, du ou des traitements en cours, de la tolérance de la personne à ces traitements, des rebondissements du parcours de soin, des maladies chroniques pouvant survenir, des éventuels handicaps visibles ou non, de la force de caractère de la personne, de son entourage et de son histoire personnelle. Par ailleurs, la question est différente si vous êtes à votre compte, chef d’entreprise ou salarié. Les impacts financiers ne sont pas les mêmes. On remarque que les personnes à leur compte ou chef de TPE-PME ont les temps d’arrêts maladie les plus courts. Travailler pendant les traitements peut aider une personne malade à garder un pied dans la vie plus “ordinaire” ou l’aider à se dire qu’elle continue à avoir le contrôle sur sa vie malgré le cancer. Des aménagements peuvent d’ailleurs être envisagés. Seulement, si la maladie devient plus sévère, il peut survenir un sentiment d’échec important, une baisse de l’estime de soi, une dépression, un burn out

Après un cancer, quels sont vos conseils au moment de la reprise du travail ? 
La communication, l’empathie et la bienveillance sont pour moi les ingrédients de base. Ce que je conseille personnellement aux personnes malades que j’accompagne est de garder le contact avec leurs collègues de travail et/ ou leur manager lorsqu’elles en ont la force et le temps. Le médecin du travail peut aider aussi. Lorsque j’accompagne des managers qui ont dans leur équipe une personne atteinte d’un cancer, je leur conseille de prendre des nouvelles de la personne dans un premier temps, d’écouter et de demander quand elle pense revenir dans un second temps, un autre jour. Pour moi, la reprise du travail se fait et s’organise bien en amont de la date de reprise.

Y a-t-il des tranches d’âge où le retour à l’emploi est particulièrement difficile ?
Oui, il est à noter que 75% des jeunes (18-25 ans) qui n’ont pas de travail au moment de l’annonce de leur maladie n’ont toujours pas de travail 5 ans après. Une partie de mon activité réside à leur faire décrocher leur premier travail. Pour les jeunes parents qui jonglent pour tout mener de front, la charge mentale parentale déborde littéralement. Une étude sortie en juin dernier montre que ce sont les femmes qui auraient le plus de difficultés à retourner au travail et qui manifesteraient le plus leurs difficultés. Par ailleurs, les personnes de 50 ans et plus sont dans une période délicate où l’on propose parfois une retraite anticipée qui ne favorise pas toujours la reconstruction de soi.

Quels sont les écueils à éviter ?
Les principaux obstacles du retour à l’emploi résident dans les tabous autour de la maladie, la méconnaissance des issues des traitements, les comparaisons et les croyances dans les capacités du malade ou les incapacité (la liste n’est pas exhaustive) :
– Une femme qui s’arrête sans explication et qui est surprise avec de la bande adhésive dans le décolleté, pourtant discrète, peut être pointée du doigt car l’on va penser qu’elle aura fait de la chirurgie esthétique alors qu’elle n’aura peut-être pas voulu ou su communiquer sur sa maladie au niveau du sein.
– Un manager qui va dire à un collaborateur : “ah tu as tel cancer, il fait partie de ceux que l’on soigne bien, tu as de la chance, et, en plus, untel l’a eu et il ne s’est même pas arrêté. Alors tu vois !
– Le fait de croire que le salarié dit “guéri” n’a plus de traitement quand il reprend le travail. (Alors que, par exemple, l’hormonothérapie dure plusieurs années après un cancer du sein.)
– Un salarié malade peut avoir des séquelles comme des soucis de concentration, de mémoire par exemple. Par ailleurs, il faut savoir que 80% des handicaps sont invisibles à l’œil et que les maladies ou douleurs chroniques à la suite d’un cancer sont fréquentes. Ainsi, ce n’est pas parce qu’un collègue revient visuellement bien qu’il est vraiment bien.

Traverser une telle épreuve, est-ce souvent synonyme de reconversion ou de changements professionnels ?
Le retour au travail se pose pour 100% des actifs qui sont en rémission ainsi que pour les jeunes et leur entrée dans la vie active. Il faut savoir que la maladie remet beaucoup de sujets sur la table, bouscule les croyances et les priorités. Voici quelques exemples* de personnes que j’ai accompagnées : Carola, la quarantaine, a tout plaqué pour partir vivre à la mer comme elle l’a toujours rêvé, Lise, une Millenial, ne se retrouve désormais plus dans ses études de commerce, Suzanne, jeune diplômée, est partie faire de l’événementiel après avoir été consultante dans une entreprise du Cac 40, Sylvie, mère de famille, a souhaité créer sa nouvelle activité à 100 mètre de chez elle pour mieux concilier vie pro et vie perso, Cyril, père de famille, respecte maintenant ses horaires de travail et télétravaille plus souvent. Si la maladie n’est pas systématiquement synonyme de reconversion, elle est synonyme de questionnements sur la vie et sur soi : Suis-je encore capable ? Est-ce que je souhaite toujours faire ce métier ? Est-ce que mon entreprise est alignée avec mes valeurs ? Qui étais-je ? Qui serai-je demain ?

Je pense que cela contribue à la reconstruction du patient en rémission et à l’ouverture d’esprit de l’entreprise. D’une part, le salarié voit sa période d’absence non pas comme un échec mais comme une élévation de ses compétences personnelles. D’autre part, l’entreprise ou le recruteur pourra constater la totale transparence du salarié qui assume le blanc sur son CV. Enfin, le blanc du C.V. n’est pas considéré comme une période d’oisiveté. C’est un vrai changement de mentalité qui est en route. Un grand bravo !

* les prénoms ont été changés pour préserver l’anonymat. Plus d’infos : www.karinechossinand-coach.com et www.kcmc-formations.com

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Diplômée de Sciences-Po Paris, Fabienne Broucaret a fondé My Happy Job en 2016. Elle en a été la rédactrice en chef jusque fin 2022. Conférencière et journaliste, elle a écrit "Mon Cahier Happy at Work" (Solar) et "Télétravail" (Vuibert). Elle a aussi co-écrit “2h chrono pour déconnecter (et se retrouver)” avec Virginie Boutin (Dunod). Passionnée par les questions de mixité, elle est enfin l’auteure des livres "Le sport, dernier bastion du sexisme ?" et "A vos baskets toutes ! Tour de France du sport au féminin" (Michalon).

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