Le télétravail, avec son lot de visioconférences, a largement modifié les rapports entre collègues. Depuis sa généralisation, les modes de travail sont différents. Et c’est l’humain, avant tout, qui en subit les conséquences. Où sont la spontanéité, la convivialité, le plaisir d’échanger quelques phrases légères avec ses collègues ? Décryptage avec Alexandre des Isnards, auteur de La Visio m’a tuer.

Pointer les limites de la visio, est-ce, par extension, pointer celles du télétravail ?

Alexandre des Isnards : Avec La Visio m’a tuer (Allary éditions), je voulais montrer que le télétravail, dont la visio est l’un des aspects, implique un changement des usages, et même de modes de vie. Cela affecte en profondeur nos liens, nos manières d’être au bureau et en famille.

Avec le Covid, nous avons sommes passés à l’ère du télétravail. La crise sanitaire a permis de briser ce tabou pour les entreprises qui n’osaient pas y aller. Et tout le monde s’est aperçu que non seulement ça marchait bien, mais que les salariés y trouvaient leur compte. Il y a eu un vrai plébiscite. Or, aujourd’hui, lorsqu’on interroge les salariés, lorsqu’on creuse un peu, même si ces salariés apprécient le télétravail, ils pressentent un coût humain. La manière de travailler ensemble est considérablement modifiée, avec tout le lot de conséquences que cela entraine.

Cela signifie-t-il que les salariés « osent » désormais critiquer le télétravail ?

Le télétravail est un mode de vie installé et que je ne pense pas qu’on y reviendra. Mais les entreprises pourraient essayer de l’aménager autrement et de le penser plus en profondeur, pour essayer de réparer les dégâts qu’il provoque. Comme toute révolution, il y a toujours des effets pervers. On prend conscience qu’il y a des choses qu’on avait avant et qu’on n’a plus aujourd’hui. C’est, par exemple, la perte de tous les moments spontanés. Lors d’une réunion en visio, si quelqu’un souhaite poser une question, il doit la planifier. La prise de parole est moins immédiate.

Une autre habitude perdue, c’est le fait de ne pas retrouver, avec certitude, ses collègues au bureau. « Qui va être au bureau ? » C’est une question que les salariés ne se posaient pas avant ! Désormais, ils ne s’y rendent pas pour travailler avec leurs collègues, mais pour les retrouver, pour rechercher leur compagnie. Cela nécessite aussi de s’interroger : quelle est la vie de bureau quand il n’y en a plus ?

Beaucoup soulèvent également la frontière qui s’amoindrit entre vie pro et vie perso…

En effet, puisque d’une part, il a fallu apprendre à faire des visio au milieu de son salon, à proximité de son conjoint voire de ses enfants. D’autre part, l’intimité s’invite dans les visios. Bien sûr, on peut aussi considérer comme un énorme avantage la possibilité de travailler où on le souhaite : dans sa salle à manger, à la terrasse d’un café, en vacances, etc. Cependant, travailler partout signifie que le travail lui-même est partout… C’est en quelque sorte une bataille entre le confort d’aménager sa vie professionnelle comme on veut et le travail qui vient perturber tous les moments de détente, les siens comme ceux des autres.

Toutefois, la caméra permet-elle de remettre un peu d’humain dans ces relations professionnelles à distance ?

Disons qu’elles permettent de plus facilement renoncer à la rencontre. Si des collègues se sont vus en visio, ils s’inquiéteront moins de se voir. Se voir en présentiel n’est plus un pléonasme, c’est une option.

Finalement, il devient très difficile de réunir des gens en présentiel. Alors les entreprises proposent des réunions hybrides. Or, ces réunions hybrides, collaborateurs comme managers estiment que c’est le pire des moyens. Les présentiels sont énervés de devoir ralentir leur débit de parole pour les distanciels. Ces derniers sont souvent écartés au bout d’un moment car le flux naturel de la conversation en présentiel prend le dessus et on finit par les oublier.

Les moments en présentiel doivent-ils aussi être abordés autrement ? Comment inciter les collaborateurs à se voir ?

Si une entreprise accentue sur la convivialité, elle doit garder en tête que certains collaborateurs n’aiment pas ça. Par définition, les after-work doivent avoir lieu après le travail. On peut donc le voir comme du travail en plus : si on s’amuse, c’est avec des collègues. De plus, ce sont souvent des rendez-vous qui sont plus ou moins imposés… Si on n’y va pas, on se sent souvent obligé de se justifier. Tout ce qui relevait avant de moments informels a été détourné pour recréer une impression de cohésion. C’est comme les fils de conversation WhatsApp qu’ont mis en place certaines équipes et qui imposent de liker des photos de son N+1 ou N+2 envoyées durant le week-end. Dans mon livre, avec la saynète Harcèlement convivial, j’ai volontairement montré un excès, un dérapage…

Comment, alors, recréer de l’humain ?

Dans le chapitre Organisons la spontanéité, des associés se sont réunis pour savoir comment récupérer ces moments informels. L’un des associés interroge : comment peut-on organiser la spontanéité ? Tout est dans la formule ! C’est comme imposer de la convivialité, ça ne se décrète pas. Ca se crée naturellement, le plus souvent autour de la machine à café.

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Diplômée en lettres modernes, Céline Tridon a suivi une formation en journalisme à l’IPJ. Elle y a confirmé son envie de travailler pour la presse écrite et web, souhait exaucé à travers la collaboration avec différents supports sur les thématiques « entreprise », « monde du travail », « management » et « RSE ». En 2023, elle reprend la rédaction en chef de My Happy Job.

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