Souvent, nous vivons, évoluons, avançons dans le doute. Que ce soit pour prendre une décision, lancer un projet, choisir une option, nous sommes fréquemment tiraillés entre plusieurs parts de nous qui ne veulent pas la même chose. Ainsi, nous sommes nombreux à expérimenter le « défi du paradoxe permanent », qui s’exprime aussi dans notre difficulté à trouver notre place au travail.

Expérimenter le paradoxe permanent, c’est donc d’abord et avant tout, être régulièrement en proie à une lutte intérieure, être partagé sur une question par une sorte de conflit d’intérêt : une part de nous veut quelque chose et une autre veut son contraire (ou du moins veut autre chose qui ne semble pas compatible).

En voici quelques illustrations :

  • Nous avons tendance à rejeter les codes de l’entreprise, qui nous enferment.

> Pourtant, nous choisissons souvent de travailler pour de grosses structures, extrêmement codifiées et standardisées, dans lesquelles la singularité est perçue comme un péché d’individualisme : par exemple le conseil, la banque, les grandes organisations.

  • Nous clamons notre différence, nous voulons être reconnus dans nos singularités, dans notre fonctionnement atypique, unique.

> Pourtant, nous redoutons d’être seuls, mis à l’écart, de ne pas intégrer le groupe ou d’aller à contre-courant. Alors, nous passons notre temps à tenter d’entrer dans les cases.

  • Nous voulons être vus et entendus pour ce que nous avons à dire.

Pourtant, nous aimons le relatif confort de l’« invisibilité », qui nous préserve des jugements négatifs et des critiques auxquels s’exposent ceux qui prennent la parole.

En ce qui me concerne, je pourrais également citer mon amour-haine des réseaux sociaux. Je publie régulièrement sur LinkedIn. Mais parfois, je suis à deux doigts de tout envoyer valser parce que les règles du jeu à accepter me pèsent : l’algorithme versatile, la course au buzz, la viralité imprévisible de certains posts et le flop d’autres, les discours sans nuances qui y sont propagés. Et parfois bien sûr, un seul et unique commentaire négatif qui m’est adressé et qui peut me hanter pendant toute une journée …

… tout autant d’éléments qui alimentent ma machine à douter et qui parfois, me font devenir chèvre !

 La lutte entre nos compétences intellectuelles et nos compétences relationnelles

Bien souvent, les paradoxes les plus fréquents sont ceux qui opposent nos compétences “expertise” et nos compétences “relations”.

Je vous donne quelques exemples pour illustrer mon propos :

  • Il y a quelques mois, j’ai rencontré Odile, qui travaille dans une grande entreprise. Elle est totalement perdue car tiraillée entre deux constats. Elle me dit :

« Je ne comprends pas, je travaille sur moi, j’essaie d’analyser mes relations au travail, de prendre du recul sur mon mode de fonctionnement. Je fais beaucoup d’efforts. Mais ma hiérarchie continue de me dire que mon « relationnel » est nul. J’ai souvent des retours du style : « Tu as vu comment tu te comportes ? ». J’ai l’impression d’être la seule à travailler sur moi dans cette boîte, j’en ai marre ! »

  • Je pourrais aussi citer l’exemple de Jessica, qui revient au travail après un burn-out. Elle prend son poste avec une certaine appréhension, mais surtout une forte envie de se montrer à la hauteur, de prouver qu’elle a toutes les compétences pour ce job, qu’elle assure. Elle bosse comme une acharnée, prend peu de pauses, quitte peu son ordinateur. Mais très rapidement, elle se rend compte qu’elle « ne va pas assez souvent à la machine à café » parler de la pluie et du beau temps. Elle n’y trouve aucun intérêt, mais ses collègues lui font sentir qu’elle est trop renfermée, qu’elle ne développe pas assez ses relations. Elle finit par se dire : « J’ai des compétences dans mon domaine et je suis une grosse bosseuse… mais mon employeur s’en fiche complètement. Je pourrais travailler deux fois moins, tout le monde s’en moque ! »

Si vous avez, vous aussi, tendance à vous investir beaucoup (trop) dans votre travail, vous mesurez le tiraillement qui a vite gagné Jessica, sa difficulté à rentrer dans ces codes et le sentiment de culpabilité et de dévalorisation qui l’a gagné.

  • Me vient également en tête le cas de Jules, qui fait régulièrement des interventions dans les Comités de Direction de son entreprise pour présenter sa vision. Jules est un “talent” dans son genre et démontre une très belle capacité d’anticipation, précieuse pour son employeur. Pourtant, après quelques interventions, il s’entend dire : « OK, c’est intéressant, mais tu ne peux pas faire plus simple ? ». Comme de nombreux clients que j’accompagne, Jules est un visionnaire à qui l’on reproche ses difficultés de communication…

Pour résumer, il me semble que nous, qui sommes si attachés à notre singularité, sommes à la fois très bons dans nos domaines d’expertise et parfois moins bons dans nos relations avec les autres

Ce sont ces deux facettes de notre personnalité qui sont à l’origine de notre paradoxe permanent. Ce qui rend difficile l’exercice d’« être soi ». Comme si nous étions deux morceaux inconciliables d’un même puzzle :

– Soit je laisse s’exprimer mon plein potentiel intellectuel (je m’investis à fond dans mon travail, je vais jusqu’au bout des choses), mais l’extérieur me renvoie que je ne sais pas me rendre accessible et que je ne suis pas assez “relationnel”;

– Soit je me rends accessible (je vais à la machine à café, je fais des présentations plus simples) mais je me sens frustré parce que je sais que je peux fournir un travail de plus grand intérêt pour l’entreprise.

Alors comment être vraiment soi au travail ?

Il est important d’apprendre à nous voir évoluer dans nos paradoxes. C’est-à-dire repérer ces moments où nous doutons, où nous ruminons mentalement un problème, une situation, une discussion, où nous reportons une décision que nous devons prendre.

Derrière le doute, encore une fois, se cache un paradoxe à prendre en compte et des parts de nous qui « négocient » bruyamment ! Acceptons cette prise de recul et écoutons toutes les voix qui cherchent à s’exprimer, comme des garde-fous.

« Si je me sens exalté avant une présentation parce qu’elle m’a demandé un grand travail, une grande puissance intellectuelle, ai-je pris garde à rester accessible à mon audience ? »

« Quand je travaille trop, que je tire sur la corde, quelle est l’autre voix que je n’écoute pas ? Celle de mon corps qui me dit d’aller dormir, courir, nager ? »

Écoutons notre dialogue intérieur et tâchons d’identifier ce que notre paradoxe cherche à nous dire.

Sortons de l’opposition pour entrer dans l’ère de la réunification des parts de nous qui cherchent à se faire entendre. Je vous parle souvent de lâcher l’un ou l’autre et d’apprendre à aller vers le Et l’un Et l’autre. Nous sommes des oxymores et c’est très bien comme ça !

Enfin, il y a une forme de renoncement à accepter. Parce que le paradoxe permanent rend quasi impossible la définition d’un “soi” fixe, stable, d’un jour à l’autre. Ainsi, en fonction de l’heure, du contexte, que sais-je encore, nous avons l’impression que nous pouvons être, sur un même sujet,

– tantôt extravertis, tantôt timides,

– tantôt enthousiastes, tantôt réfractaires,

– tantôt pionniers, tantôt en queue de peloton…

.. en fonction de la part de nous qui aura gagné le débat ce jour-là !

En qu’en cela, définir ce qui est « soi » – entendu comme un ensemble de caractéristiques constantes, est déjà un défi. Et c’est peut-être cela que nous devons accepter et affirmer au final : « être soi » veut peut-être dire pour nous, être tous les jours différent, irrégulier et inconstant ? Ou, si ces mots sont trop teintés de négativité : être agile, souple et libre d’être différent, dans une autre nuance chaque jour ?

Et plus concrètement encore ?

Pour aller encore plus loin dans les situations professionnelles concrètes, je dirais que pour être réellement soi au travail, nous devrons alternativement :

  • assumer notre différence :

« Je mets en avant ce que je ne fais/pense/conçois pas comme les autres membres de mon équipe »

  • exprimer un état de vulnérabilité :

« Je ne me sens pas à l’aise dans cette situation ; j’ai fait une erreur ; je n’y arrive pas, je ne sais pas »

  •  prendre des risques :

« Je ne suis pas sûr du résultat ; c’est la première fois que nous allons procéder comme ça ; il me manque des réponses à certaines questions mais j’y vais quand même, je n’ai pas d’avis tranché »

  • accepter de ne pas faire l’unanimité :

« Nous ne sommes pas d’accord et c’est OK ; certains collègues ne « m’aiment » pas et c’est OK ! »

  • et enfin bien sûr, accueillir en retour l’ “être soi” (les singularités) des personnes qui nous entourent !

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Animée par la compréhension des modes de relations et d’interactions dans la vie professionnelle, Isabelle Leclercq se forme au coaching dès 2005 après avoir occupé des fonctions de communicante du secteur privé et public. Elle se consacre désormais au coaching de managers et leaders atypiques en quête de sens et d'affirmation de leur leadership. Elle est diplômée du CFIP (certifié ICF) à Bruxelles, d'un Master en coaching d’équipe et de dirigeant délivré par l'Académie du Coaching.

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