Ludovic Cinquin est directeur général (CEO) d’Octo Technology, cabinet de conseil spécialisé dans la transformation digitale des entreprises (intégré à Accenture Digital depuis 2017). Avec 700 collaborateurs, l’entreprise fonctionne avec une méthode agile. Dans son dernier livre, Devenir une entreprise agile – Les leçons de 20 ans de transformation*, il détaille ce qui fait pour lui un bon manager.

Personnellement, pourquoi vous êtes vous intéressé à la transformation de la fonction de manager ?
Ludovic Cinquin. Par goût personnel pour la dynamique d’entreprise. Et j’ai aussi été obligé de m’y pencher suite à une crise de croissance et de confiance d’Octo il y a dix ans. Dans la tech, il y a une guerre des talents, il fallait comprendre comment les attirer et les garder ! J’ai découvert alors pas mal de théories. Les questionnements sur le management existaient bien avant les années 70, dès le Taylorisme. Cette méthode, faite pour faire travailler les gens de la campagne dans les usines des villes peut-elle encore marcher ? OUI car l’art de motiver les gens dans un projet collectif reste le même, NON, car les gens ne sont plus les mêmes, et PEUT-ETRE… car c’est compliqué !

“La performance d’une entreprise dépend de la mobilisation de l’intelligence collective”

Vote entreprise, Octo, a expérimenté et modifié plusieurs fois ses modes de management et de travail…
L.C.
Oui, car la population est particulière (de la tech, ndlr), c’est intéressant de changer, cela dépend du projet collectif que l’on construit… et parce que le sujet m’intéresse ! Il y a également un enjeu nouveau du management qui est de prendre conscience que la performance d’une entreprise dépend de la mobilisation de l’intelligence collective. Et pour ça, il faut aller vers plus d’horizontalité et plus d’autonomie, ce que j’ai essayé de faire. Octo a été précurseur des méthodes agiles car le développement des logiciels agiles était du bon sens. Or, à force de répéter des comportements pour les logiciels, ils sont devenus la culture d’entreprise.

Quelle a été votre plus grosse réussite ?
L.C. 
La mis en place des « tribus », il y a deux ans. Les tribus ressemblent sur le papier aux « Practices » des cabinets de conseil (le secteur d’expertise de chaque consultant, ndlr), mais chez Octo, la création s’est faite de façon autogérée, ce n’est pas la direction qui a nommé telle personne, à tel poste sur tel sujet. Ces groupes datent d’il y a six ans et ont été un moment fort de notre évolution.

“Ce qui devient difficile, c’est la représentation symbolique du pouvoir”

Et votre principal échec ?
L.C. 
Il y a des choses qu’on loupe… Dans le monde de l’informatique et de la prestation informatique en particulier, qui sont des mondes en croissance -qui emploient, ce qui change la donne- il y a le risque, peut-être, de perdre le lien avec la réalité économique et d’avoir des comportements de gens privilégiés.

Vous avez choisi le modèle agile, était-ce plus facile avec peu de collaborateurs ou cela fonctionne-il de la même façon aujourd’hui avec 700 personnes à impliquer ?
L.C. 
Cela marche infiniment mieux maintenant que quand on était 50 car c’est plus facile d’intégrer un projet formé que de faire changer un projet ! Notre norme sociale est définie aujourd’hui. En revanche, ce qui devient difficile, c’est la représentation symbolique du pouvoir. Par exemple, je suis le porte parole interne et externe de l’entreprise, et pourtant il y a des gens qui n’ont pas d’interactions avec moi… Cela devient difficile de savoir comment les 700 personnes avec leurs écarts d’âges, leurs différences sociales, leurs caractères, vont percevoir ce que je vais dire.

“Il faut des managers et dirigeants qui aient une forme d’humilité, ce qui n’est pas facile car le pouvoir est corrosif”

Tous ces collaborateurs, avec leurs différences, ne se managent pas de la même façon, vous croyez à une méthode agile universelle ?
L.C. 
Je crois à des principes de management universel -donner de l’espace, autonomiser les gens, développer le sens et faire du feedback-, après, un bon manager sait s’adapter dans les interactions avec les personnes avec qui il travaille. J’ai une vision peu romantique du management : manager, c’est un boulot qui s’apprend, comme on apprend à faire un shoot au basket. Ce sont des gestes que l’on répète et que l’on travaille. Ce n’est pas de l’amour, ou du pouvoir, mais une gestion de la relation à l’autre. On peut être un leader né, mais il est difficile d’être un manager né.

Pourquoi, alors, cette méthode n’est-elle pas plus développée, quels en sont les freins ?
L.C. 
Une fois éliminés les comportements toxiques, il faut des managers et dirigeants qui aient une forme d’humilité, ce qui n’est pas facile car le pouvoir est corrosif. Et il faut réussir à mettre en place un cadre qui favorise cela. Or, les bonus, qui sont encore pour nombre de personnes une source de motivation, favorisent les comportements personnels, donc si on cherche la collaboration, c’est contre-productif… Les crises sont de bons vecteurs de transformation. Il y a une citation de Churchill qu’on entend beaucoup aujourd’hui : « Il ne faut jamais gaspiller une bonne crise ! »…

* Octo stories, mars 2021.

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Photo de Mong Mong provenant de Pexels

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Titulaire d’un master de journaliste au Celsa (Paris), Lucie Tanneau est journaliste indépendante, sillonnant la France, et plus particulièrement l’Est de la France au gré des thèmes de ses articles. Elle collabore à de nombreux titres, de Liaisons sociales magazine, La Vie, et Okapi, en passant par Grand Est, l’Est éclair, Village, et Foot d’Elles.

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