Les situations d’inégalités sont souvent inconscientes de la part de celui qui les provoque. La justice, notion peu abordée en entreprise, est ici développée par Thierry Nadisic, chercheur et enseignant en comportement organisationnel à l’EMLyon Business School et auteur du livre “Le Management juste“.

Apprenez également à faire face aux injustices managériales dans le guide Moodwork volume 2 sur la relation à l’entreprise

On parle souvent de « management bienveillant », de confiance, de transparence, mais peu de justice. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cette notion englobe au fond  toutes les autres ?

Thierry Nadisic : Les managers sont aujourd’hui très fortement remis en cause par les nouvelles façons de travailler et par les nouvelles générations – ils ont intérêt à changer, car leur façon de diriger traditionnelle ne fonctionne plus dans de nouveaux environnements. Le management juste offre ainsi un meilleur équilibre entre les besoins des salariés (pouvoir prendre des initiatives) et ceux des directions (innovation, rapidité). Pour gagner en légitimité, l’un des principaux moyens pour le manager est donc la justice. C’est l’un des domaines de recherches actuelles le plus actif. Les études montrent que le bien-être et l’engagement des salariés dépendent surtout de la façon dont les managers décident, davantage que la décision elle-même, ou même que l’équité des rémunérations. Les recherches en justice organisationnelle ont montré qu’être juste consiste non seulement à rémunérer les personnes de façon équitable, mais aussi et surtout à leur donner voix au chapitre lorsque l’on prend des décisions qui les concernent, puis expliquer et justifier les décisions prises tout en faisant preuve de respect et d’empathie.

Quelles sont les quatre clés du manager juste ?

Le manager juste est celui qui sait tenir compte de quatre dimensions lorsqu’il anime ses équipes :
– La justice distributive, c’est le salaire, la promotion, le titre, la reconnaissance, donnés en échange du travail fourni par le collaborateur, en fonction du mérite et de sa contribution.
– La justice procédurale, c’est la manière dont le manager prend ses décisions.  Le fait par exemple de demander l’avis de toutes les personnes impactées avant de prendre une décision.
– La justice informationnelle, c’est la façon dont le manager présente des résultats ou des décisions à ces équipes, donne les informations en temps et en heure (plutôt que d’attendre le dernier moment), notamment afin de permettre aux salariés de bien « digérer » certaines nouvelles.
– La justice interpersonnelle, c’est la manière dont on va s’exprimer et communiquer avec ses collaborateurs. Etre poli, respectueux, avoir de l’empathie, être capable d’entendre les problèmes des gens, les traiter avec respect et dignité.
Ces quatre sentiments de justice sont en interaction, c’est-à-dire qu’ils ont un effet multiplicateur en positif ou en négatif et qu’ils peuvent en partie se compenser l’un l‘autre.

Quels sont les risques du management injuste ?

L’injustice casse la solidarité, la confiance, la coopération. Face à une injustice, les salariés n’ont pas le pouvoir de changer les choses. Alors ils vont exprimer ce sentiment de manière invisible. Cela peut se traduire par des retards, des pauses allongées, des négligences, un manque de respect des règles, voire des vols de matières premières. Un salarié traité de façon injuste devient donc plus négligent et peut aller jusqu’à des comportements de représailles ou de sabotage.

En plus, le sentiment d’injustice a un effet boule de neige assez conséquent, non ?

En effet, l’injustice est l’émotion la plus contagieuse. Là ou l’insatisfaction va provoquer de la tristesse ou de la frustration, l’injustice, elle, va non seulement provoquer ces sentiments mais en plus de la colère, du dégoût et du ressentiment. L’injustice contrairement à l’insatisfaction comporte en effet une dimension morale, ce qui a le pouvoir de vite mettre de l’huile sur le feu.

Quels sont alors les bénéfices du management juste ?

La justice met de la glu sociale, elle tient tout le monde ensemble. Le sentiment de justice est en effet l’un des besoins fondamentaux de la personne au travail. Dans l’entreprise, nous sommes  dans un lien de subordination, nous perdons un peu de notre liberté. En échange, nous attendons des contreparties, monétaires ou symboliques, qui montrent que nous ne sommes pas exploités matériellement et que nous sommes reconnus socialement. D’où l’impératif de justice qu’ont les organisations aujourd’hui : si elles traitent les collaborateurs de manière juste, ces derniers vont se sentir utiles et en confiance. Un salarié justement traité se déclare plus engagé, plus confiant, plus satisfait, plus épanoui, coopère mieux avec ses collègues et produit un service de meilleure qualité.

Pouvez-vous enfin nous donner un exemple de comportement « discrétionnaire » du salarié ? Ce n’est pas facilement mesurable, mais cela démontre son engagement…

Oui, par exemple, il est 18h, le téléphone sonne. Le salarié a fini sa journée. Il peut donc choisir de répondre ou pas à l’appel. Il peut choisir de se conformer à sa fiche de poste, ou faire plus par envie. C’est un peu comme rester nager dans une piscine bien délimitée ou décider d’aller explorer l’océan en acceptant l’incertitude, en prenant des initiatives et en s’investissant au delà de son périmètre. La justice construit le contexte qui donne envie d’aller plus loin, sans peur, en se sentant soutenu. Dans un monde en constante transformation, il est essentiel d’avoir des équipes à la fois engagées et épanouies et la justice rend possible les deux simultanément.

(1) UGA Éditions en coédition avec les PUG.

Séverine Daniel, fondatrice d’Happylot, est formatrice, médiatrice et praticienne de l’Approche neurocognitive et comportementale

Le guide Moodwork volume 2 détaille la relation que chacun entretient avec l’entreprise. En tant que partie prenante d’un système, vous interagissez avec votre manager, vos collègues voire la direction. Comment faire quand des tensions s’installent ? Interviews, conseils et outils vous aideront pour apaiser les relations au travail. 

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Séverine Daniel est la fondatrice d'Happy Lot. Elle est spécialisée dans l'accompagnement managérial, la facilitation, la communication et la Qualité de Vie au Travail.

3 Commentaires

  1. Chère Madame Daniel,
    Merci pour cet article édifiant qui a mis sur papier et clairement un ressenti que je ne parvenais pas à identifier par rapport à mon malaise au travail. La justice ou les justices ! Mais bien sûr !
    Et c’est tellement évident maintenant que j’ai lu votre article que, je vous cite, “Le sentiment de justice est en effet l’un des besoins fondamentaux de la personne au travail.”

    Un article qui va me permettre de réfléchir … et à avancer …

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