Saisie par la CFTC, l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a compilé les études sur les effets du télétravail sur la santé du travailleur. Rémi Poitier, coordinateur de l’expertise explique les conclusions.

Le télétravail change-t-il notre vie sociale, nos comportements alimentaires, nos relations ? Impacte-il notre santé au travail, notre sommeil, nos horaires ?

C’est pour mesurer les effets de cette organisation de travail, en très forte augmentation depuis la pandémie de Covid 19, que la CFTC a demandé à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) de réaliser un état des lieux des connaissances sur le sujet, via notamment les travaux de l’Institut de recherche en santé environnement et travail (Irset).

L’agence a ensuite rendu un avis factuel au vu du manque de données que nous explique Rémi Poirier, chargé de projet scientifique au sein de l’Anses et coordinateur de cette étude sur les effets du télétravail tel que pratiqué actuellement en France. Malgré cela, des effets possibles du télétravail sur la santé sont décrits. Les implications sont de plusieurs natures

Vous avez réalisé une étude sur les effets du télétravail, quels sont-ils ?

Rémi Poirier : Avant de parler des effets, il est important d’insister sur le fait que les données scientifiques identifiées dans le cadre de cette expertise relative au télétravail ne sont pas suffisantes pour conclure. Malgré cela, des effets du télétravail sur la santé remontent. Les implications sont de plusieurs natures.

Ils concernent la santé : troubles musculo-squelettiques (TMS), sédentarité, impact sur la vue lié au travail sur écran (qui existe aussi sans télétravail !), perturbation du sommeil, effets sur les comportements alimentaires et addictifs, modification de l’accidentologie, impacts sur la santé mentale… tous apparaissent dans la littérature scientifique sur le sujet.

La vie sociale est aussi affectée avec une modification de l’articulation entre la vie professionnelle et la sphère socio-familiale. Enfin, l’activité de travail peut être modifiée par des pratiques managériales ou d’usages d’outils numériques, le développement d’horaires atypiques de travail, des modifications des dynamiques relationnelles entre collègues et avec la hiérarchie, une évolution de la satisfaction et de l’implication au travail.

Il peut aussi améliorer l’employabilité, en facilitant l’accès au travail grâce au télétravail pour certains actifs qui étaient éloignés de l’emploi. Il faut aussi noter la question des inégalités sociales en termes d’accès au télétravail.

Dans votre avis vous relevez le fait que les données scientifiques actuellement disponibles et relatives aux effets sanitaires apparaissent empreintes de biais et limitent l’intérêt de recourir, dès à présent, à une évaluation des risques sanitaires, c’est-à-dire ?

Les biais sont de trois natures dans notre expertise. Il y a peu d’éléments sur le contexte français mais beaucoup d’études ont été réalisées dans d’autres pays, où le droit du travail et les obligations en termes de santé et sécurité au travail ne sont pas les mêmes.

La littérature date aussi souvent d’avant la période Covid, donc à un moment où le télétravail était pratiqué de manière choisie, par des salariés bénéficiant d’une autonomie et de bonnes conditions matérielles.

Enfin, il y a eu une augmentation du nombre de publications pendant la Covid, donc à une période très anxiogène liée à la pandémie pendant laquelle le télétravail a été mis massivement en place de manière improvisée et avec des moyens dégradés, sans anticiper des moyens de prévention. Il est donc difficile de se baser sur ces données-là pour conclure.

Les résultats sont plutôt négatifs, était-ce attendu ?

Nous n’avions pas d’attentes. Avant la Covid, le télétravail était une modalité de travail valorisante, pour des cadres très autonomes dans leurs tâches. Avec la Covid, cette modalité s’est répandue et il était nécessaire de se poser la question de la prévention des risques. Il y a des facteurs de modulation des risques selon la profession, le poste de travail, la notion de télétravail choisie ou subie, la situation familiale, matérielle, la catégorie socio-professionnelle, etc. En fonction des modalités et contexte de télétravail, il peut y avoir des effets positifs comme sur l’employabilité, ou négatifs, mais il faut évaluer les risques et se poser la question de l’adaptation de l’organisation de travail.

Cela dépend-t-il de l’organisation personnelle adoptée en télétravail ? Quelle est donc la possibilité pour l’employeur d’y remédier, sachant qu’il doit veiller à la santé et à la sécurité de ses collaborateurs ?

La difficulté est que, d’un côté, le droit du travail impose à l’employeur de pratiquer la prévention des risques de la même manière sur site et au domicile du télétravailleur, mais la juridiction l’empêche d’accéder au domicile et complique donc la prévention. Les effets dépendent en partie de l’organisation personnelle mais surtout de l’organisation du travail. Il faut donc identifier des moyens pour que l’employeur puisse mesurer ces effets et améliorer les conditions de travail de la même manière dans l’entreprise et en dehors.

L’accompagnement du travailleur est un outil qui peut améliorer la situation. Par exemple, sur site, le travailleur a accès à des conseils de posture devant l’écran. L’employeur doit donc réfléchir à développer ces conseils y compris au domicile, selon la situation de travail de ses salariés.

Vous avez appelé à renforcer les recherches sur le sujet : quelles vont être les suites données à cette étude ?

Les suites données seront de deux natures. Nous recommandons à la communauté de chercheurs en santé au travail des pistes de recherche pour prendre en compte des données dans le contexte actuel en France, indépendamment de la Covid, et en mesurant les effets du télétravail choisi ou subi, selon les catégories sociales, les situations familiales et les conditions matérielles et d’organisation des travailleurs. L’Agence s’engage à re-considérer son avis suite aux résultats de ces études.

Au-delà des données de recherches, nous pensons aussi qu’il est nécessaire que les préventeurs des risques se saisissent des questions soulevées pour évaluer les situations spécifiques de leur entité de travail et utilisent les recommandations de prévention qui sont déjà à leur portée pour les adapter de manière individualisée en fonction des postes de travail de leurs travailleurs et télétravailleurs.

Quelles pistes pour contrebalancer les effets négatifs soulevés dans l’étude ?

Il existe des pistes nombreuses déjà formulées par l’OMS, l’OIT… que les employeurs peuvent adapter à la situation de télétravail. Par exemple, on peut amener du conseil de postures, sans être intrusif, via des technologies de communication, entre autres. C’est à l’employeur d’adapter sa prévention : c’est son rôle et il doit trouver un moyen de le faire de manière adaptée au télétravail.

Il est important de noter que l’employeur doit aussi intégrer dans la question des effets du télétravail la prise en compte du changement climatique. Cela fait partie de nos recommandations : on parle aujourd’hui du concept One health, qui regroupe la santé du travailleur, la santé de l’individu, mais aussi l’environnement global. On ne peut plus dissocier les parties : le changement climatique doit être pris en compte dans l’analyse des impacts du télétravail sur la santé globale.

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Titulaire d’un master de journaliste au Celsa (Paris), Lucie Tanneau est journaliste indépendante, sillonnant la France, et plus particulièrement l’Est de la France au gré des thèmes de ses articles. Elle collabore à de nombreux titres, de Liaisons sociales magazine, La Vie, et Okapi, en passant par Grand Est, l’Est éclair, Village, et Foot d’Elles.

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