83 % des profs exercent leur métier « avec plaisir », même si dans le même temps… presque un sur deux déclare avoir déjà été en situation de burn-out dans sa carrière (1). Où en est-on en matière de qualité de vie au travail dans l’enseignement ? Témoignages à l’occasion de la journée mondiale des enseignants.

La QVT (comprendre “Qualité de Vie au Travail”) est un acronyme assez courant dans le monde du travail, en particulier dans les start up et grands groupes… Dans les Ministères, et dans celui de l’Education nationale également, il existe des textes sur le sujet pour « améliorer les conditions de travail ». Il n’empêche, quand on demande son avis à Monsieur Le Prof, prof d’anglais très suivi sur les réseaux sociaux, il hésite. « Cela veut dire quoi QVT ? », interroge-t-il. « Le simple fait que je ne connaisse pas cet acronyme en dit long, reconnaît ce professeur de collège. Dans l’Education nationale, on a pourtant beaucoup d’acronymes, mais pas celui-là ! ».

Pour une QVT nationale, pas seulement des initiatives locales

Pour Elisabeth Allain Moreno, secrétaire nationale de l’UNSA, en charge des questions de carrière des personnels et de qualité de vie au travail, « le sujet de la QVT dans l’enseignement date, mais traine beaucoup ». « Entre la définition qui n’est pas la même pour tous et la question des moyens, il y a beaucoup de réflexion mais peu d’actions ».

Un sentiment partagé par Monsieur Le Prof : « Il existe en effet des initiatives locales lancées par des collègues. J’ai, par exemple, travaillé dans un établissement où le vendredi après-midi les enseignants amenaient des gâteaux à tour de rôle, alors que c’est la journée où les élèves sont généralement le plus énervés. Cela nous faisait un goûter anti-déprime… mais le chef d’établissement n’a jamais fait de gâteau, lui ! ». Certains établissements, surtout dans l’enseignement supérieur, aménagent des salles de pause avec cocons de sieste, comme à l’Université de Caen ou à Sciences-Po Lille. A l’origine proposés aux étudiants, ces espaces commencent à s’ouvrir aux professeurs, comme à la faculté de médecine de Rouen : les cocons à sieste de Nap&Up ont été installés dans une pièce attenante à la bibliothèque universitaire, les étudiants comme les professeurs y ont accès. “Si les hôpitaux aménagent de plus en plus en plus de salles de repos et de sieste pour le personnel de santé, le mouvement est encore timide dans les établissements scolaires”, analyse Camille Desclée, co-fondatrice de Nap&Up.

Le rôle clé du chef d’établissement

Dans d’autres établissements, ce sont les profs d’éducation physique et sportive qui ouvrent les gymnases pour proposer des séances de sport aux collègues, des cours de chant… « C’est super ! Après ce n’est pas ce qui va changer la donne si l’ambiance est tendue », nuance Monsieur Le Prof. Une des sources principales de mal-être selon lui ? Le manque général de reconnaissance (de la hiérarchie, financière et des parents d’élèves). Un sentiment confirmé par une étude de la Dares (2) dans laquelle les enseignants déclarent « manquer de soutien de leur hiérarchie et de moyens nécessaires pour bien faire leur travail, tant au niveau du matériel que de la formation ». Les instits expriment davantage le manque de reconnaissance : 56% pensent qu’ils ne reçoivent pas le respect et l’estime que mérite leur travail (36,6% dans le secondaire). A noter qu’il y a moins de tensions avec les supérieurs hiérarchiques en primaire (21,4%) qu’en secondaire (26,9%).

Signal alarmant témoignant d’un mal-être : la hausse des démissions. Elles étaient de 364 sur l’année scolaire 2008-2009, contre 1 417 en 2017-2018 (sur un total de 879 722 profs alors en poste). La tendance est encore plus marquée chez les profs stagiaires (lauréats du concours mais pas titularisés) passant de 144 en 2008-2009 à 703 neuf ans plus tard. D’après Monsieur Le Prof, avoir un chef d’établissement à l’écoute serait ce qui contribuerait le plus à la bonne qualité de vie au travail. « Ses choix définissent notre quotidien. Sa personnalité et les actions qu’il met en œuvre, ou pas, ont un impact sur l’ambiance », détaille-t-il, regrettant « que certains fassent passer leur carrière avant le bien-être des profs ». Ou que d’autres prônent le « Pas de vague », soit le fait qu’un souci avec un collègue ou un élève soit souvent passé sous silence ou minimisé.

Les effets de la crise du Covid-19

Pour Elisabeth Allain Moreno, la crise sanitaire a remis le sujet « sécurité » au centre, laissant aux directions d’écoles la charge de la gestion des risques psychosociaux ou de le pression, amplifiés pourtant depuis un an et demi par les consignes sanitaires et l’enseignement à distance. « Un des soucis est qu’il n’y a pas d’interlocuteurs de proximité pour parler des parcours professionnels, alors que beaucoup de profs se posent la question de leur réorientation », cite-t-elle à titre d’exemple. « Les parties “revalorisation” et “QVT” annoncées lors du Grenelle (de l’Education, en mai 2021, ndlr) sont importantes, mais on attend d’en voir la couleur », anticipe-t-elle.

« On voit des initiatives intéressantes : la prime d’équipement informatique est une bonne chose, certains rectorats mettent sur pied des équipes plurielles pour la santé et la sécurité au travail, le management est vraiment réfléchi dans certains établissements, la réflexion sur le statut du directeur d’école dans le primaire est importante… Mais je crois que la première réponse doit venir de l’institution et pas des territoires », défend-elle. Sa conclusion ? « On ne pourra pas retraverser une crise comme celle que nous venons de vivre sans avoir une QVT mieux réfléchie. »

(1) Sondage Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès, février 2021.
(2) Etude de la DARES (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques), 2013.

A lire aussi :
Hôpital : des initiatives pour améliorer la qualité de vie au travail des soignants
Ces mairies qui s’impliquent pour le bien-être de leurs agents 

Article précédentLe mobilier de bureau passe au vert !
Article suivantSeulement 21% des salariés aidants sont accompagnés par leur entreprise
Titulaire d’un master de journaliste au Celsa (Paris), Lucie Tanneau est journaliste indépendante, sillonnant la France, et plus particulièrement l’Est de la France au gré des thèmes de ses articles. Elle collabore à de nombreux titres, de Liaisons sociales magazine, La Vie, et Okapi, en passant par Grand Est, l’Est éclair, Village, et Foot d’Elles.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici