Les collègues et managers d’une personne souffrant d’une addiction connaissent souvent la faille. Mais très peu osent en parler ouvertement, et tentent d’aider la personne. L’addiction reste un tabou au travail. Pourtant, au-delà de l’impact sur la santé du salarié, elle a des conséquences sur l’entreprise, ses résultats et le collectif de travail. Enrayer une conduite addictive au plus tôt peut aussi éviter qu’elle ne dégénère en addiction. Des outils existent.

Jeux vidéos, alcool, tabac… Que l’on parle d’addictions avec produit (alcool, tabac, café, produits stupéfiants illicites…) ou sans produit (cyberdépendance, trouble alimentaire, sport, bronzage…), la dépendance à une substance ou à un comportement est dangereuse. Elle peut avoir des conséquences sur la santé, les relations sociales, familiales, mais aussi le travail.

Un conducteur de bus qui a des problèmes avec l’alcool peut provoquer un accident, et perdre son travail. Un agent administratif complètement cyberdépendant est moins visible. Pourtant les conséquences peuvent aussi devenir désastreuses, pour sa propre santé (troubles musculosquelettiques, du sommeil, technostress…), mais aussi pour la performance de l’entreprise et les relations sociales.

Une prise de conscience des entreprises

Si le sujet est encore tabou dans beaucoup d’organisations, avec souvent le sentiment que parler d’addiction relève de la délation, des professionnels et des entreprises tentent des méthodes pour aider les salariés ou collègues à sortir de leur dépendance.

L’addictologue Alexis Peschard* intervient au sein de nombreuses entreprises depuis dix ans. Sollicité dans l’énorme majorité des cas pour des addictions à des produits psychoactifs, il note que la crise du Covid a permis une prise de conscience nouvelle sur la problématique de l’usage des écrans et la cyberdépendance. « La crise a fait exploser la demande d’aide individuelle auprès de salariés », remarque-t-il. Il raconte ce DRH qui l’a contacté pour un salarié « qui avait un problème avec l’alcool ».

« Pendant le confinement, alors qu’il ne le voyait plus puisqu’il était en télétravail, ce DRH s’est inquiété car la responsabilité de l’employeur a été déportée au domicile : il n’était plus possible pour lui de fermer les yeux ». Le principal problème aux yeux du professionnel est bien celui-là : par manque de connaissances sur les addictions, beaucoup de personnes sont mal à l’aise et préfèrent ignorer le comportement à risque, par peur d’être considérées, si elles en parlent, comme des « balances ».

Oser parler des addictions

Pour Alexis Peschard, la première action est de « lever le tabou ». « La demande pour lutter conter une addiction vient souvent de l’entourage », rappelle Alexis Peschard qui mise, au sein de son cabinet GAE conseil, sur les proches pour accompagner « par ricochet » le salarié. « L’objectif est vraiment d’aborder le sujet en allant au-delà du tabou pour faire tomber les stéréotypes négatifs », encourage-t-il. Avec un élément important à garder en tête : le silence encourage le déni de la personne accro. « Si personne ne dit rien, elle croit passer inaperçue, avec le risque de passer à la vitesse supérieure dans son addiction », regrette l’addictologue.

Sur les écrans, la première étape qui peut mener à l’addiction est la surconnexion (plus de 7h30 par jour sur l’ordinateur de travail, le smartphone, la tv…) qui n’est en aucun cas un tabou. « On peut facilement dire “je suis addict à mon portable”, devenu un e-doudou, alors que l’on ne dira jamais “je suis alcoolique” », illustre Alexis Peschard.

Pour aborder le sujet, le plus simple est d’utiliser des signaux faibles, à la première personne. Ainsi, dire à son collègue, « je te trouve fatigué », ou « irrité », « qu’en penses-tu ? », « comment puis-je t’aider », peut permettre sinon de libérer la parole immédiatement, mais d’enclencher une première prise de conscience avant le déclic. Un premier message qui montre que l’addiction a été remarquée.

Accompagner les salariés souffrant d’addictions

Dans les entreprises qui ont des services Santé et Sécurité étoffés, comme dans les secteurs du bâtiment, des transports, ou en industrie, le concept de sécurité partagée permet de gagner du temps, mais il n’est jamais trop tard pour prendre le sujet à bras-le-corps.

A la mairie de Castanet-Tolosan, la chef de service RH, Catherine Mazodier, a par exemple décidé de créer un service prévention, « clairement identifié » afin de permettre aux agents d’évoquer les problématiques d’addictions : un service qui s’adresse dans les faits surtout aux agents qui composent l’entourage d’un salarié ayant un problème avec l’alcool.

« On essaie collectivement de détecter les premiers dérapages », illustre-t-elle. « Quelqu’un qui arrive au travail avec une haleine chargée, c’est un signe », clarifie-t-elle. La conseillère du service prévention alertée mène une enquête de service, puis active le médecin de prévention. « Il peut convoquer le salarié sous le prétexte d’une visite périodique. Ce rendez-vous sera l’occasion d’évoquer l’addiction », encourage Catherine Mazodier. « On est vraiment parvenu à sortir de l’idée de délation et le médecin ne revient pas nécessairement vers nous. L’objectif n’est pas de sanctionner mais de prévenir car ces attitudes-là (de dépendance à l’alcool notamment, ndlr) mettent en difficulté toute une équipe », rappelle la chef de service, qui assure qu’elle « proposera de l’aide avant d’arriver à une sanction. »

La prévention a permis de sortir le sujet du tabou, même si l’alcool reste pour beaucoup associé à la convivialité. Le service a d’ailleurs prévu de diffuser des recettes de cocktails sans alcool pour tenter de lutter contre ce réflexe. Sur le tabac, un « espace fumeur a été recréé, mais plus loin », ce qui apaise les tensions. Et pour la première fois, l’employeur va aussi accompagner les salariés qui le souhaitent pendant le mois sans tabac (novembre). Prochaines étapes : « le café et les écrans », promet Catherine Mazodier.

La prévention des addictions

Parler pour prévenir, les outils fonctionnent pour bien des addictions. Pour François Auriol, chargé de prévention au sein de l’association Addictions France, « l’action doit passer par la direction pour vraiment identifier le sujet ». Il propose ensuite de mettre sur pied des temps d’information et de formation, avec les instances paritaires et de nommer des « préventeurs », formés, au sein des services.

La prise de conscience doit aussi passer, selon lui, par une réflexion plus large : en quoi l’organisation de travail peut-elle conduire à des pratiques addictives ? Il cite plusieurs exemples. Celui d’abord d’un aide soignant en Ehpad qui consomme des antidouleurs ou de l’alcool comme anesthésiant pour calmer ses douleurs de dos récurrentes. « Il y a un travail à faire sur les TMS, les postures, le port des personnes âgées », encourage le spécialiste. Autre exemple avec des salariés qui arrivent chaque matin à leur poste après une heure de bouchons, excédés. « La tentation est de reprendre un café, voire deux pour faire retomber le stress. L’entreprise peut réfléchir à une flexibilité des horaires ou à d’autres moyens pour relâcher la pression… », propose-t-il. « Il y a des tas de bonnes pratiques qui peuvent prévenir les usages », assure-t-il. Encore faut il y réfléchir collectivement, et en amont.

* Alexis Peschard est l’auteur de Tous accros aux écrans : que faire et comment s’en sortir ?Cyberdépendances : que faire et comment en sortir ? (Mardaga Edition, octobre 2022).

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Titulaire d’un master de journaliste au Celsa (Paris), Lucie Tanneau est journaliste indépendante, sillonnant la France, et plus particulièrement l’Est de la France au gré des thèmes de ses articles. Elle collabore à de nombreux titres, de Liaisons sociales magazine, La Vie, et Okapi, en passant par Grand Est, l’Est éclair, Village, et Foot d’Elles.

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