La qualité de vie au travail ? Les entreprises ont conscience de cet impératif. Pour autant, elles ne savent pas toujours comment la déployer. Elles doivent en effet composer entre intérêts individuels et respect du collectif. Pour Aurélie Dudézert, professeure en systèmes d’information pour le management, il faut de réelles transformations organisationnelles.

Aurélie Dudézert est professeure en systèmes d’information pour le management à Institut Mines-Télécom Business School. Avec Florence Laval, Anuragini Shirish, Nathalie Mitev, elle a mené une étude sur le management par le bonheur. Concrètement, ils se sont penchés sur plusieurs cas de grandes entreprises qui, pour développer une transformation digitale, devaient faire accepter le changement à leurs collaborateurs, tant dans les tâches, les conditions de travail que le bien-être. Les entreprises ont ainsi mis en place des pratiques spécifiques de conduite du changement axées sur le bonheur au travail pour accompagner ces programmes de transformation numérique. Les travaux des quatre auteurs de l’étude explorent le rôle de la gestion du bonheur en tant que pratique de gestion du changement. Aurélie Dudézert revient sur cette question plus générale du bien-être au travail.

Qu’entendez-vous par « management par le bonheur » ?

Aurélie Dudézert : Ce sont des démarches d’accompagnement du changement, qui ont été mises en place notamment dans le cadre de transformation digitale au sein de grandes entreprises. Ces démarches visaient principalement à faire en sorte que le salarié développe des émotions positives et qu’il les associe au nouveau mode de travail. Ce sont des dispositifs qui se sont articulés autour des modes d’aménagement d’espaces particuliers, mais aussi de modes de management et de technologies de l’information.

Pour suivre ces démarches, chaque organisation avait désigné un ou plusieurs animateurs dédiés : par exemple, ces collaborateurs orchestraient des événements particuliers, comme des rencontres hebdomadaires qui favorisaient la prise de parole, pour notamment revenir sur les irritants. Nos travaux de recherche ont eu lieu avant la Covid. Aujourd’hui, dans les organisations avec lesquelles je travaille, la prise en compte des questions de QVT est toujours présente, mais elle est différente.

C’est-à-dire ?

Les entreprises (les grandes notamment) ne savent pas exactement comment faire. Elles sont perdues, car la crise de la Covid a beaucoup bouleversé le rapport entre l’entreprise et le salarié, avec une individualisation accrue, une atomisation exponentielle des collectifs. Désormais, la vraie question, c’est : comment traiter la question de la qualité de vie au travail dans un environnement où les salariés sont de plus en plus distants par rapport à l’institution qu’est l’entreprise ? Est-ce qu’il faut personnaliser l’offre de QVT pour chaque salarié ? Faut-il plutôt la redéfinir collectivement ? Ce sont les questions que se posent aujourd’hui les entreprises. Les managers sont désemparés, les directions essaient de poser des accords-cadres, mais ces derniers doivent être adaptés à chaque terrain, ce qui entraine parfois des iniquités, des sentiments d’inégalité.

Pourtant le bien-être des collaborateurs joue un rôle déterminant dans la performance des entreprises…

Bien sûr. Comme nous sommes dans une économie qui tire principalement de la valeur ajoutée des services (et moins du produit), les entreprises sont obligées d’avoir des salariés qui engagent leur subjectivité dans le travail. S’ils ne sont pas bien, le service ne sera pas bien fait, l’entreprise ne sera pas en mesure d’innover, etc. Ce n’est pas seulement une question d’éthique si les entreprises s’en préoccupent. Il en va de leur survie.

Que faire si les individus n’ont plus le même rapport au travail ?

On a tendance à dire que les Français n’aiment pas travailler : c’est faux ! Ils aiment le travail, mais ils n’apprécient pas tel qu’il est fait aujourd’hui.

Depuis des années, il y a une recherche chez le salarié du travail bien fait et, dans les grandes organisations, cette question du travail bien fait est rarement posée. Ces entreprises ont tendance à privilégier le développement de grands processus, de reportings, de larges systèmes d’information, etc. Tout cela a désincarné le travail et contribué à ce que les salariés aient l’impression de ne plus avoir la maitrise sur rien. C’est pourquoi les salariés peuvent être malheureux de leurs conditions de travail.

Cette notion de bien-être, comment l’appréhender dans le futur ?

Ce que nous avons identifié dans nos travaux, c’est que, jusqu’à présent, ces questions de QVT, d’épanouissement ou de bien-être ont beaucoup été renvoyées sur le salarié, c’est-à-dire qu’elles ont été traitées individuellement. Les approches de management par le bonheur ont exactement été pensées de cette manière-là, en se disant qu’il suffit que l’on change le comportement individuel en créant des émotions positives pour que l’entreprise se transforme en profondeur. Or, ce n’est pas la solution. Si on veut vraiment qu’il y ait des transformations profondes, il faut certes des changements individuels, mais aussi des transformations organisationnelles. Cela passe notamment par comment on pense la planification, la coordination et l’évaluation du travail dans un monde qui considérerait que le bien-être au travail est essentiel pour la pérennité de l’entreprise.

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Diplômée en lettres modernes, Céline Tridon a suivi une formation en journalisme à l’IPJ. Elle y a confirmé son envie de travailler pour la presse écrite et web, souhait exaucé à travers la collaboration avec différents supports sur les thématiques « entreprise », « monde du travail », « management » et « RSE ». En 2023, elle reprend la rédaction en chef de My Happy Job.

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