On connait tous un collègue vers qui tout le monde se tourne lorsque le stress est trop fort. Une autre qui a toujours l’oreille ouverte pour les autres et qui trouvera à chacun une solution adaptée. Eux, ce sont des générateurs de bienveillance. Décryptage avec Géraldine Lemoine et Gilles Teneau, auteurs de Toxic Handlers (1).

Qu’est-ce qu’un générateur de bienveillance ?
Gilles Teneau. En deux mots, c’est une personne qui peut absorber les souffrances de ses collègue au sein d’une organisation, d’une entreprise, d’un service public … Il joue un rôle de catalyseur, d’éponge.
Géraldine Lemoine. Pour moi, le toxic handler est attentif aux autres, il entre en résonance avec ce qu’il observe chez eux en termes de souffrance ou de doute et peut aller jusqu’à se mettre en action pour lutter contre cette souffrance. C’est quelqu’un qui écoute, vraiment. Nous sommes entourés de gens qui nous demandent comment on va et qui n’écoutent absolument pas la réponse pour enchaîner sur ce qu’eux-mêmes vont avoir à dire sur leur état du moment. Il y a des personnes en souffrance qui n’ont besoin que de ça : être écouté.

Quels sont les différents types de générateurs de bienveillance ?
Géraldine Lemoine. Il existe trois types de générateurs de bienveillance. Le premier, le porteur de confiance, va considérer que dès lors qu’il prodigue de bons conseils, c’est suffisant. Le second, le porteur de souffrance, malheureusement pour lui, va prendre sur lui la souffrance de l’autre. Enfin, le troisième, le porteur de compassion, ira jusqu’à mettre en place des actions pour endiguer la souffrance de l’autre.
Gilles Teneau. Pour imager ces différentes personnalités, j’utilise une métaphore : le porteur de confiance, à la plage, va mettre les pieds dans l’eau, mais n’ira jamais plus loin. Quand la crise arrive, le porteur de confiance se protège. Le porteur de souffrance, sur la même plage, va entièrement dans l’eau, mais il y va tellement qu’à la fin il finit par se noyer. Il absorbe toutes les émotions de ses collègues et finit par complètement couler. Il rentre dans de grandes difficultés personnelles. Le troisième profil, toujours sur cette même plage, va aller dans l’eau mais lui,  aura appris à nager. Il s’en sort et il a les capacités pour aider ses collègues à s’en sortir également. Le premier remarque la souffrance, le deuxième éprouve la souffrance, et le troisième va passer à l’action pour pouvoir aider les personnes qui sont en souffrance. Il y en a un dans le premier rôle de la sympathie, dans le second de l’empathie et pour le troisième il s’agit de compassion.

Quelqu’un peut-il être les trois profils à la fois ?
Gilles Teneau. Au début, nous pensions qu’une personne correspondait uniquement à un profil. Finalement, on s’aperçoit que quelqu’un peut se retrouver porteur de confiance dans une situation et dans une autre être porteur de souffrance. La deuxième constatation, c’est qu’il y a comme un cycle d’évolution. Un individu serait d’abord porteur de confiance et puis  une crise va bousculer cette personne. Elle va évoluer. Quand on est porteur de souffrance, on entreprend un travail. Un travail de développement en utilisant des méthodologies comme la pleine conscience, la sophrologie… pour se développer et grâce à ça, pouvoir, éventuellement, atteindre le troisième niveau : celui de porteur de compassion.

Vous dites qu’un générateur de bienveillance perçoit réellement la souffrance vécue par l’autre. Ne risque-t-il pas, au final, d’absorber le stress ou les problèmes de celui qu’il écoute ?
Géraldine Lemoine. Cette personne va pouvoir, doit même, utiliser la sophrologie, la méditation de pleine conscience, le qi-gong, l’auto-massage… toutes ces techniques qui permettent de se recentrer sur soi-même et réaliser que chacun a ses propres émotions. Après, il y a tout ce qui permet de soi-même devenir « plus grand » : la communication non-violente, la psychologie positive… Cela nous permet de mieux comprendre comment agir pour aider les autres sans soi-même souffrir. Si les porteurs de souffrance ne s’engagent pas dans des techniques comme celles-ci, ils risquent un burn-out.

Est-ce que tout le monde est un générateur de bienveillance ? Ou le devient-on ?
Gilles Teneau. Tout le monde peut l’être, mais certains le sont plus que d’autres.
Géraldine Lemoine. Souvent, les générateurs de bienveillance ont eux-mêmes traversé une crise émotionnelle. Je dirais que tout le monde peut devenir générateur de confiance. Pour être porteur de souffrance, là malheureusement, il y a eu dans l’histoire personnelle une souffrance. Et pour être porteur de compassion, je pense que les techniques évoquées précédemment permettent justement de travailler sur la résilience et la compassion.

Avez-vous réussi à identifier qui sont les toxic handler dans les entreprises ?
Gilles Teneau. Dans les premières études, on avait tendance à dire qu’il s’agissait plutôt des managers de proximité. Maintenant, on constate que tout le monde dans l’entreprise peut être toxic handler. On peut retrouver ces capacités aussi bien chez les jeunes que chez les plus âgés, chez des femmes comme chez des hommes, les managers comme les employés. C’est une question de personnalité.

Est-ce que le générateur de bienveillance est conscient de son rôle ?
Gilles Teneau. Les porteurs de souffrance, non, c’est quelque chose qu’ils font naturellement. Alors que les porteurs de compassion, oui. Ils ont appris quelque chose, ils sont passés par une étape d’apprentissage, de connaissance de soi, ils jouent un rôle de « guide ». Les porteurs de confiance en ont un peu conscience, ils savent que quelque chose se passe.
Géraldine Lemoine. J’ai l’impression que c’est un peu des deux. Dans les portraits que l’on a faits, il y avait des personnes qui n’en étaient pas du tout conscientes et qui s’en sont rendu compte pendant les interviews. D’autres s’étaient appropriées les techniques évoquées et avaient conscience de ce qu’elles faisaient.

Dans quel secteur retrouve-t-on le plus de générateurs de bienveillance ?
Gilles Teneau. Un peu partout. J’ai travaillé pour plusieurs entreprises et on en retrouve aussi bien dans le monde bancaire, audiovisuel, industriel, dans la communication, les transports … Par contre, il est vrai que l’on a tendance à retrouver plus de porteurs de confiance dans les entreprises, les porteurs de souffrance dans le monde médico-social ou l’enseignement, et les porteurs de compassion dans les associations. Mais ce n’est pas une généralité…

(1) Odile Jacob. Gilles Teneau est chercheur associé au LEMNA, université de Nantes, professeur au CNAM et à l’ESG de Paris. Il est spécialiste de la résilience organisationnelle et des ressources rares en entreprise. Géraldine Lemoine est sociologue et consultante ; elle anime notamment des formations en communication collaborative, prévention du stress et développement de la créativité.

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Diplômée de Sciences-Po Paris, Fabienne Broucaret a fondé My Happy Job en 2016. Elle en a été la rédactrice en chef jusque fin 2022. Conférencière et journaliste, elle a écrit "Mon Cahier Happy at Work" (Solar) et "Télétravail" (Vuibert). Elle a aussi co-écrit “2h chrono pour déconnecter (et se retrouver)” avec Virginie Boutin (Dunod). Passionnée par les questions de mixité, elle est enfin l’auteure des livres "Le sport, dernier bastion du sexisme ?" et "A vos baskets toutes ! Tour de France du sport au féminin" (Michalon).

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