Une évolution de salaire sans changement dans le travail peut-elle rendre heureux à long terme ? Les travaux de recherche de Patrice Roussel, professeur en sciences de gestion à l’université de Toulouse-Capitole, portent sur les théories de motivation, d’engagement, de performance et de bien-être au travail. Peut-on faire le lien entre les politiques de rémunération des entreprises et le bien-être au travail de leurs collaborateurs ? Entre la théorie et la pratique, les recherches sont toujours en cours…

Vos travaux de recherche portent sur le lien entre rémunération et motivation au travail : cette corrélation existe-elle ?

Patrice Roussel : Avant de répondre à la question, il faut déjà distinguer d’un point de vue théorique, deux formes de motivation.

La première motivation est dite « autonome », c’est à dire intrinsèque (voir la théorie d’autodétermination, de Deci et Ryan, ndlr) : on la retrouve chez ceux qui connaissent du plaisir dans leur travail, soit parce que leur travail a du sens, soit parce qu’ils ressentent un attachement à leur entreprise ou à leurs collègues.

La deuxième motivation est dite « contrôlée » : elle anime les travailleurs qui recherchent une progression de carrière ou salariale. La théorie considère que la motivation contrôlée peut plus facilement produire du mal-être au travail, car le comportement de la personne est contrôlé par des incitations. Une fatigue émotionnelle et physique peut alors se produire. Ce risque serait moindre avec la motivation autonome, car la personne s’identifie à son entreprise, à ses collègues ou trouve du sens dans son travail, ce qui peut compenser une absence de plaisir.

Retrouve-t-on ces motivations en sortant de la théorie ?

Nos recherches de terrain montrent que l’on ne peut pas diviser la population de manière si dichotomique : certains profils ont une prédominance autonome, mais ce sont seulement des grandes tendances. Les problèmes de rémunération ne vont pas forcément à l’encontre du bien-être.

De quelles formes de rémunération parle-t-on ? Une augmentation améliore-t-elle à coup sûr le bien-être au travail?

Il faut distinguer le salaire, et les primes ex-ante (sur objectifs) ou ex-post (non attendues, distribuées en reconnaissance d’un travail fourni). Les travaux des économistes Jean Tirole ou Roland Benhamou au début des années 2000 ont montré que la rémunération ex-post est celle qui a le plus d’impact : elle est comme une bonne surprise qui vient couronner une reconnaissance. Elle amène un mécanisme vertueux.

Sur le terrain, nous avons constaté que les primes ex-ante créent des comportements contrôlés puisque l’individu va se concentrer sur ses objectifs, quitte à délaisser d’autres tâches non-reconnues par une prime. Par exemple, un manager ne voit plus ses collaborateurs aux réunions hebdomadaires car ceux-ci sont trop occupés avec leur clients afin de réaliser leurs objectifs.

A l’inverse, les primes déconnectées d’un objectif ou d’un enjeu très précis sont plus impactantes pour la motivation.

Cette motivation influe-t-elle ensuite sur le bien-être au travail ?

Nous travaillons actuellement à cette question sur le terrain. Le lien a déjà été montré dans des études menées en Norvège, en Australie ou au Canada, nous sommes sur ces recherches en France. Nous nous appuyons pour cela sur des indicateurs classiques de bien-être au travail, ainsi que sur des indicateurs nouveaux, de soutien de l’équipe par exemple. La mesure unique n’existe pas.

Pourquoi un individu a-t-il besoin de cette reconnaissance matérielle ?

C’est vieux comme le monde ! Un être humain a besoin de se loger, de manger, de s’habiller : la motivation primaire passe par l’argent. Mais pour tous les métiers mal-rémunérés, une motivation autre permet d’accepter un bas salaire. Elle passe par le matériel et par le symbolique.

Comment faire, dans les entreprises, pour offrir cette reconnaissance attendue ?

Ce que l’on conseille, ce sont les prime ex-post, c’est à dire un remerciement non-attendu. Les entreprises qui vont sur un système de gestion des salaires basé sur les compétences obtiennent les mêmes résultats : les individus qui développent une compétence et qui la mettent en œuvre ont le droit à une reconnaissance financière. Enfin, un troisième mécanisme fonctionne : ce sont les primes d’équipe. Elle sont intéressantes car il est difficile de dissocier les performances des uns par rapport aux autres et elles permettent de créer une ambiance, dans un collectif de travail.

Dans le contexte d’inflation actuelle, la rémunération n’est-elle pas plutôt un sujet de frustration pour les salariés et de crispation pour les entreprises ?

En termes de niveau de salaire, la France est mal placée en Europe. Nous sommes aussi parmi les plus chers en matière de coût du travail. Nous avons également des secteurs où les niveaux de prime sont élevés, je pense à la pétrochimie, à la finance, au conseil aux entreprises. Mais la masse des emplois sont dans d’autres secteurs. Evidemment cela peut créer des frustrations, entre les plus bas salaires, à 20 000 euros par an et ceux à 120 000 euros par an. Les chefs d’entreprise peuvent expliquer les raisons des non-augmentations. Je crois aussi qu’un artisan-ébéniste n’a pas choisi son métier pour des questions financières, mais par amour du travail. Il y aurait une révolution financière à faire sur les charges, mais la question de la motivation n’en dépend pas.

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Titulaire d’un master de journaliste au Celsa (Paris), Lucie Tanneau est journaliste indépendante, sillonnant la France, et plus particulièrement l’Est de la France au gré des thèmes de ses articles. Elle collabore à de nombreux titres, de Liaisons sociales magazine, La Vie, et Okapi, en passant par Grand Est, l’Est éclair, Village, et Foot d’Elles.

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