Marie Donzel est directrice associée au cabinet AlterNego, après avoir été entrepreneure et attachée de presse dans l’édition. C’est surtout une experte engagée, passionnée et inspirante, déterminée à ce que l’inclusion en entreprise progresse, et vite ! Consultante en innovation sociale, elle vient de publier 7 icônes de la pop culture pour comprendre le sexisme aux Editions Fil Rouge. Un livre pédagogique, documenté et drôle, illustré par des dessins originaux de Gilles Rappaport. Interview.

Qu’est-ce que le sexisme ordinaire ?
Marie Donzel.
Cette expression est très ambiguë. Elle dit à quel point le sexisme est ancré dans le quotidien, comme quelque chose de banal, au travers, par exemple, de blagues ou de petites choses pas bien méchantes. Elle a aussi le mérite de souligner combien les remarques ou les comportements sexistes sont présents dans l’air ambiant comme des particules invisibles qui le polluent. Mais le terme ordinaire laisse également entendre que ce ne serait pas si grave ! Or, même si ce sexisme est rarement conscient et intentionnel, il porte tout de même préjudice aux femmes en perpétuant une culture viriliste. Un homme a le droit de penser qu’une femme est faite pour rester au foyer, mais son opinion ne doit pas avoir un impact sur ses décisions, sa manière de recruter, de promouvoir, de manager… Interagir sur la base de cette conviction crée un biais discriminant. De la même manière, on a le droit de penser que telle collègue ne fait pas bien son travail, mais la critique ne doit pas être genrée. Si on dit volontiers d’un homme qu’il est paresseux, une femme, elle, sera davantage estampillée bonne à rien. En clair, incompétente.

Avez-vous constaté un avant et un après « #MeToo » dans les entreprises en France ?
MD.
Oui, clairement. Pendant dix ans, on m’a surtout demandé d’intervenir en entreprise pour démontrer que la mixité était source de performance.  En agissant ainsi, on ne prend pas les choses à la racine. Promouvoir la mixité pour faire de la mixité représentative, cela ne sert à rien dans un environnement sexiste ! Cela peut aussi être déceptif car il n’y a pas d’automatisme en la matière. #MeToo a été un formidable accélérateur pour l’enjeu de l’égalité en entreprise. C’est un sujet désormais pris au sérieux. Du jour au lendemain, on m’a demandé des formations afin de sensibiliser les collaborateurs aux bases du sexisme. Comment l’identifier ? Que faire ? Comment réagir ?

Justement, que faire face à des agissements sexistes ?
MD. Sensibiliser le plus grand nombre à « l’effet témoin » est tout d’abord essentiel. Deux psychologues, John Darley et Bibb Latané, ont travaillé sur le meurtre, dans la rue devant une trentaine de témoins, d’une jeune Américaine, Kitty Genovese. Pourquoi n’ont-ils pas réagi ? Au terme de leur investigation, les chercheurs ont mis en avant les conditions dans lesquelles le témoin devient agissant, ou pas. L’« effet témoin » conduit à une dissolution de la responsabilité individuelle dans le groupe. Si vous assistez à un événement dramatique et que vous savez que d’autres personnes en sont également témoins, vous aurez tendance à penser qu’un autre interviendra. En avoir conscience multiplie par 8 l’intention d’agir et par 3 le passage à l’acte. Une structuration des process pour faire remonter les agissements sexistes est aussi nécessaire. Il existe des procédures à mettre en place, les sanctions doivent être proportionnelles et appropriées, on peut aussi s’appuyer sur les référents éthiques, les IRP, etc. Encore faut-il les former à l’écoute active et aux problématiques liées au sexisme.

On constate aussi la multiplication des réseaux de femmes ou réseaux mixité en entreprise…
MD. Oui, c’est une grande avancée de la dernière décennie. Ces réseaux ont une vraie influence au sein des entreprises, ils ont forgé des ambassadeurs et ambassadrices de la mixité qui irriguent tout le tissu économique de culture de l’égalité. Ce sont aussi des forces de proposition pour transformer les organisations.

Vous avez choisi, dans votre livre, d’utiliser des références qui parlent à tout le monde. Madame Doubtfire, Mary Poppins, Pretty Woman, Mérida alias Rebelle… Pouvez-vous nous expliquer le syndrome de la Schroumpfette ?
MD. Cette image souligne la condition d’une femme seule dans un groupe composé exclusivement d’hommes, la contraignant à incarner la féminité sans pouvoir faire valoir sa singularité d’individu. Elle permet de comprendre ce que sont le plafond de verre et l’effet de minorité dans un un monde où le masculin constitue la norme. La maternité en revient à l’essayiste Katha Pollitt. Les pionnières en politique, comme les premières femmes à avoir intégré le cercle des dirigeant.e.s dans le monde économique, ont vécu ce syndrome de la Schroumpfette. Comment devenir une minorité active ? D’abord en ayant conscience de sa condition de minorité, traitée par la majorité comme une exception. Et ne pas céder à la flatterie que cette différence peut faire ressentir. La seconde condition est de faire nombre. En étant isolé.e, on pèse peu. La masse critique nécessaire à l’influence minoritaire se situe selon les études entre 30% et 50% de mixité.

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Diplômée de Sciences-Po Paris, Fabienne Broucaret a fondé My Happy Job en 2016. Elle en a été la rédactrice en chef jusque fin 2022. Conférencière et journaliste, elle a écrit "Mon Cahier Happy at Work" (Solar) et "Télétravail" (Vuibert). Elle a aussi co-écrit “2h chrono pour déconnecter (et se retrouver)” avec Virginie Boutin (Dunod). Passionnée par les questions de mixité, elle est enfin l’auteure des livres "Le sport, dernier bastion du sexisme ?" et "A vos baskets toutes ! Tour de France du sport au féminin" (Michalon).

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