Les entreprises libérées : de quoi s'agit-il ?

Théorisé et popularisé en France par Isaac Getz, docteur en psychologie et en management, l’entreprise libérée recouvre bien des réalités. Entre hiérarchie horizontale, entreprise sans manager ou équipes autonomes, l’objectif est de transformer les organisations pour « libérer » les salariés. Un changement de modèle pour leur offrir plus d’épanouissement, et conduire à une augmentation des performances de l’entreprise.

Une entreprise libérée, c’est quoi ?

Comme l’explique Isaac Getz dans son livre Liberté et Cie une entreprise est dite libérée « lorsque la majorité des salariés disposent de la liberté et de l’entière responsabilité d’entreprendre toute action qu’eux-mêmes estiment comme étant la meilleure pour la vision de l’entreprise ». Au cœur de cette définition du concept d’entreprise libérée, une idée simple : toutes les ressources humaines sont importantes et susceptibles de participer à la création de richesses dans l’entreprise. Il s’agit donc de remettre l’homme au cœur de l’activité et d’ouvrir le champ d’initiatives des salariés.

Ce mode organisationnel suscite un engouement croissant car il répond aux aspirations des salariés, qui sont notamment en quête de sens et d’autonomie, mais aussi aux préoccupations des dirigeants d’entreprise qui cherchant à accroître la motivation et l’engagement de leurs collaborateurs. A l’opposé, l’organisation classique, dite pyramidale, souffre souvent d’un excès de processus bureaucratiques, de reporting, de procédures hiérarchiques et de systèmes de contrôle qui entravent les salariés et les frustrent.

Les clés de la réussite

Cette démarche ne fonctionne, selon I. Getz, que dans la mesure où les salariés se considèrent « intrinsèquement égaux, sans hiérarchie, ni titres, ni privilèges et qu’on les laisse se motiver eux-mêmes. »

Les grands principes de l’entreprise libérée, qui sous-tendent son succès,
peuvent se résumer ainsi :

  • la capacité d’écoute des dirigeants,
  • la liberté des salariés comme moteur de motivation et de créativité,
  • des valeurs communes et une adhésion de tous à la culture de l’entreprise,
  • la disparition de la hiérarchie pyramidale et du contrôle,
  • la disparition des symboles de privilèges et des horaires imposés,
  • le principe de subsidiarité (les salariés sont légitimes à prendre des décisions sur ce qui les concernent)
  • et enfin des salariés soucieux du client, de leur entreprise et solidaires de leurs collègues.

Des exemples d’entreprises libérées en France

Avec Gore-tex, Imatech, Lippi, Chronoflex ou encore Poult, la fonderie Favi a longtemps fait partie des « originaux » qui avaient mis en place des modèles d’entreprises libérées. Modèles au pluriel, car ce type d’organisation est propre à ceux qui la composent. Pour Jean-François Zobrist, l’ex dirigeant de Favi, l’entreprise libérée est avant tout basée sur la confiance. Avec lui, terminé les « patrons dans leurs bureaux et les managers focalisés sur le reporting ». « S’il n’y a pas de problème, il n’y a pas besoin de réunion. Quant au reporting, j’irai voir les résultats sur le terrain », avait-il coutume de répéter. Au sein de la fonderie, il constate aussi que 70 % des gains de productivité viennent des ouvriers, à condition que leur hiérarchie le permette. Il faut donc « supprimer les pointeuses, les contrôles, les échelons qui ralentissent l’entreprise ».

C’est ce que Nicomatic, qui se veut une « entreprise responsabilisante » appelle « l’autonomie ». Le fabricant de micro-connecteurs, basé à Bons-en-Chablais, à 40 minutes d’Annecy, a été fondé en 1976. Sous l’impulsion des deux fils du dirigeant, après leur reprise de la société, Nicomatic décide au milieu des années 2010 « de laisser l’opportunité aux collaborateurs de prendre des décisions en lien avec la stratégie de l’entreprise », explique Tatiana Schnyder.

Comment fonctionne une entreprise libérée ?

RRH de l’entreprise arrivée il y a un an et demi, elle raconte que l’adaptation à une entreprise comme celle-là n’est pas si simple. « Il y a une phase d’adaptation », raconte-elle. Car l’organisation ne prévoit pas de chef qui distribue le planning et les tâches mais laisse les salariés se fixer les objectifs en fonction de la stratégie globale des dirigeants. En production, les pointeuses ont été supprimées en 2016. « Les collaborateurs connaissent leurs horaires et il n’y a aucune raison qu’ils ne viennent pas bosser », résume Tatiana Schnyder. Les congés ne sont plus validés par les RH : les équipes s’organisent entre elles. Enfin, les équipes de 6 à 15 personnes se gèrent, sans manager. Les RH prévoient pour tous un accompagnement vers l’autonomie et pour la prise de décision. Le fonctionnement d’une entreprise libérée est donc atypique.

« On les forme aussi au recrutement, car certains collaborateurs m’accompagnent dans les entretiens » poursuit Tatiana Schnyder. « L’autoévaluation et les entretiens 360 on aussi remplacé les entretien individuels », complète Delphine Michellier, ex-commerciale de Nicomatic devenue RH. « Si je suis dans l’entreprise depuis 9 ans, c’est que j’ai pu y évoluer. On m’a fait confiance », insiste-elle. « Je n’ai pas une responsable qui me casse les bonbons », résume dans un sourire celle pour qui « le plus difficile dans l’autogestion est de dire les choses désagréables mais qui font avancer ». Pour cela, les salariés sont formés « aux feedbacks constructifs » pour apprendre à entendre et accepter les retours.

Fixer un cadre et des limites

Au sein de La compagnie des Lavandières, entreprise de ménage à domicile créée en 2020, Lionel Strasbach a également voulu développer un modèle basé sur l’autonomie. Lui parle d’« entreprise libérante » et non libérée, car les 40 collaborateurs sont d’anciens « exécutants », plus habitués à des hiérarchies verticales. « On leur fournit un véhicule de service, ils assurent la relation directe avec les clients, et ont une autonomie de planning et de gestion des congés » décrit le dirigeant. « Mais on ne pouvait pas leur confier les clés du camion du jour au lendemain, cela les aurait mis en difficulté », défend-il. La société veut néanmoins les faire « monter en compétences » et valoriser ce métier « à l’image peu reluisante ». « Nous offrons des primes en fonction de la satisfaction clients ou du développement du chiffre d’affaires de l’agence (8 en France), sachant que les intervenants à domicile ne font pas que du ménage, mais participent aussi aux actions commerciales », explique le DG.

« On fixe le cadre et les limites, à eux de s’autonomiser », assure-t-il, encourageant chacun à suivre les formations disponibles en ligne, et grâce au « tutorat » de directeurs d’agences. Des directeurs désormais vus comme des « coachs ». L’objectif : « développer la qualité de vie au travail », « retrouver du sens », « favoriser l’épanouissement », mais aussi « réduire les indicateurs comme le turn over et l’absentéisme », qui sont élevés dans les métiers de service à la personne, et « améliorer investissement au travail, et la satisfaction des clients ».

De l’autonomie et de la flexibilité

Des aspirations atteintes chez Nicomatic qui n’a « pratiquement pas de turn over ». « Dans cette organisation, on se sent impliqué. On a une grosse charge de travail, c’est vrai, mais on a également une liberté dans un cadre, et une grande confiance, avec une flexibilité qui fait qu’on ne stresse pas d’arriver à 8h02 », reprend Tatiana Schnyder. « On aurait du mal à re-travailler autrement », renchérit Delphine Michellier. Les cours de sport, de yoga, de pilates, massages, et randonnées entre équipes favorisent aussi cette « âme familiale ». En pleine croissance, Nicomatic a décidé de scinder ses effectifs sur deux sites pour garder une taille critique. Le modèle de l’entreprise libérée est en effet étroitement lié à un souci de bien-être des employés.

« Au-dessus de 200 personnes (c’est le cas), on ne peut plus tous se connaitre et le modèle d’entreprise responsabilisante n’est plus si simple », croit Tatiana Schnyder. Avec deux sites séparés, le modèle familial devrait au contraire perdurer et permettre de nouveaux projets. Dans les cartons, « un onboarding international », et une politique de mobilité accrue. Deux initiatives pour faire perdurer « cette belle expérience », que viennent observer « beaucoup d’entreprises qui veulent comprendre comment fonctionne ce modèle organisationnel » selon les deux RRH.

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Titulaire d’un master de journaliste au Celsa (Paris), Lucie Tanneau est journaliste indépendante, sillonnant la France, et plus particulièrement l’Est de la France au gré des thèmes de ses articles. Elle collabore à de nombreux titres, de Liaisons sociales magazine, La Vie, et Okapi, en passant par Grand Est, l’Est éclair, Village, et Foot d’Elles.

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