Une importante laiterie française qui rémunère ses fournisseurs près du double du prix du marché, un grand labo pharmaceutique japonais coté en bourse qui a remplacé dans ses statuts les profits par l’émotion des patients et de leurs familles, une société d’accueil de séminaires qui traite ses clients en amis, une clinique privée à Toulouse qui a décidé que servir les patients passait avant tout… Dans leur livre L’entreprise altruiste, Isaac Getz et Laurent Marbacher nous emmènent à la rencontre d’organisations au fonctionnement singulier. Leur objectif ? Ce n’est pas le profit, mais le bien commun… Et ça marche !

Qu’est-ce qu’une entreprise altruiste ?
Isaac Getz. C’est une entreprise dont les activités de cœur de métier servent les interlocuteurs externes de l’entreprise, c’est-à-dire les clients, les fournisseurs et les territoires locaux, de manière inconditionnelle et qui grâce à cette orientation radicale, prospère économiquement.

Vous êtes partis à la rencontre d’entreprises aux quatre coins de la planète, dans des secteurs d’activités très différents, qu’ont-elles toutes en commun ?
Isaac Getz. Elles ont toutes ce souci de l’autre. Elles sont tournées vers l’extérieur, vers la création de la valeur sociale et non pas vers elles-mêmes, vers leur performance économique. En effet, une entreprise traditionnelle fait passer ses résultats en priorité. Certaines font des actions sociales, ont des engagements en matière de RSE, mais elles ne constituent pas des activités de leur cœur de métier.

Comment ces entreprises ont-elles réussi à se transformer ?
Isaac Getz. D’abord il y a les dirigeants qui initient le mouvement, changent la raison d’être de l’entreprise, en lui donnant une orientation sociale. Mais pour que la transformation prenne, elle ne peut pas être conduite top down mais avec les collaborateurs. C’est à eux de repenser leur activité afin de contribuer à la création de valeur sociale. C’est difficile car ces activités étaient conçues pour créer la valeur économique. Comme l’explique le Président de Chateauform dans le livre, Daniel Abittan, c’est un combat de tous les jours. Pour que le client soit traité dans son entreprise comme un ami le serait chez vous, cela demande de la part de salariés de corriger constamment leur actions qui traiteraient le client sous l’angle économique.

Cela implique aussi plus d’autonomie et de responsabilité pour les collaborateurs ?
Isaac Getz. Oui, tout à fait. C’est à eux de trouver les solutions sur le terrain qui réalisent au mieux la vision sociale de l’entreprise. Au Japon, le PDG d’Eisai, un grand laboratoire pharmaceutique, dans le top 20 mondial, a demandé à tous de repenser leurs activités pour contribuer à la vision d’Eisai de soulager la souffrance de patients et de leurs familles. Ainsi, certains commerciaux ont décidé de ne plus se focaliser sur la vente de médicaments mais sur les patients ! En six mois, leur chiffre d’affaire a bien progressé.

Comment ça s’est passé concrètement ?
Isaac Getz. Une commerciale qui performait a été envoyée dans une région à la traine—du classique. Elle a failli démissionner, puis s’est rappelé de la vision sociale d’Eisai et a décidé de s’y concentrer. Lors d’un rendez-vous à l’hôpital, elle a entendu un cri. C’était un patient alité. Elle lui a parlé, a posé des questions au personnel, et a ainsi appris que les chutes étaient responsables d’un cas d’alitement sur trois chez les personnes âgées. Elle a donc décidé d’agir avec quelques autres commerciaux, en organisant dans cet arrondissement de Tokyo des ateliers de prévention de chutes pour sensibiliser les personnes âgées. En se mettant ainsi aux services des patients, ceux-ci ont commencé à dire du bien sur Eisai à leurs généralistes. Du coup, les médecins qui refusaient auparavant de recevoir des commerciaux d’Eisai, trouvant ce labo trop arrogant, ont ouvert leurs portes. En se souciant de manière authentique de patients, cette commerciale a entraîné un cercle vertueux. C’était un pari qui a demandé du temps, mais qui a créé une relation authentique avec ces généralistes, plutôt que des transactions économiques du passée—rares  par ailleurs.

Suite à la loi pacte, on parle désormais beaucoup de la raison d’être des entreprises. Avez-vous l’impression qu’une tendance de fond est enclenchée ?
Isaac Getz. Cette loi permet une prise de conscience chez les dirigeants. Cependant, comme le dit Pascal Demurger, DG de la MAIF, « statut n’est pas vertu. » L’essentiel c’est de transformer les activités de cœur de métier afin que la valeur sociale soit véritablement créée partout dans l’entreprise.

En France, on se dit souvent que l’herbe est plus verte ailleurs. Or, vous citez dans votre livre de nombreux exemples d’entreprises altruistes françaises. C’est donc possible…
Isaac Getz. Mais oui ! J’ai déjà parlé de Chateauform, mais on pourrait aussi évoquer la laiterie LSDH située près d’Orléans. Il s’agit de la 4ème laiterie française, avec 2000 salariés. Son patron, Emmanuel Vasseneix, a trouvé des solutions pour mieux rémunérer les producteurs de lait, dans des régions ou à cause de l’éloignement les industriels offraient des prix très au-dessous de la moyenne mettant les producteurs au bord de la faillite.  L’initiative la plus connue, « C’est qui le Patron ? », regroupe désormais 80 producteurs. En Ile-de-France, où la production de lait allait être abandonnée, il a permis de valoriser le lait de  trois fermes du territoire en obtenant, notamment, qu’elles fournissent les cantines scolaires. Le prix de vente du lait a triplé. La considération de l’autre par LSDH a tout changé.

Est-ce que cela a aussi des impacts en interne, notamment sur la motivation et l’engagement des collaborateurs ?
Isaac Getz. Bien sûr, surtout sur les Millenials qui en 2020 représenteront 50% des salariés. Ils sont près de 9 sur 10 à vouloir que l’entreprise n’ait pas pour seule finalité un objectif financier, mais ait aussi une visée sociale. Toute entreprise qui veut attirer les millenials et les garder, devrait se poser la question de la création de valeur sociale et le faire dans ses activités de cœur de métier car c’est là où travaille la majorité de salariés.

Quid, pour conclure, du secteur public ?
Isaac Getz. Il y a là aussi de bons exemples, comme la clinique Pasteur à Toulouse qui bien que privée fait le même métier qu’un hôpital public. Elle emploie 1400 personnes et a décidé que servir les patients passait avant tout. Le taux d’infirmières par patient y est trois fois la moyenne nationale, et les résultats financiers y sont parmi les meilleurs de France. Un exemple : un patient en fin de vie devait se marier pour des raisons patrimoniales. L’équipe a organisé un vrai mariage dans sa chambre, avec un repas et la cérémonie. Le service inconditionnel de l’autre, ça marche !

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Diplômée de Sciences-Po Paris, Fabienne Broucaret a fondé My Happy Job en 2016. Elle en a été la rédactrice en chef jusque fin 2022. Conférencière et journaliste, elle a écrit "Mon Cahier Happy at Work" (Solar) et "Télétravail" (Vuibert). Elle a aussi co-écrit “2h chrono pour déconnecter (et se retrouver)” avec Virginie Boutin (Dunod). Passionnée par les questions de mixité, elle est enfin l’auteure des livres "Le sport, dernier bastion du sexisme ?" et "A vos baskets toutes ! Tour de France du sport au féminin" (Michalon).

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