Spécialiste du futur du travail, Laëtitia Vitaud est la co-fondatrice du média “Nouveau départ” et la co-auteure du livre Welcome to the Jungle : 100 idées innovantes pour recruter des talents et les faire grandir (Vuibert). Elle nous explique les impacts de la crise du coronavirus sur le monde du travail d’aujourd’hui et de demain, notamment en ce qui concerne le travail à distance. Interview.

Selon vous, qu’est-ce que la crise du Covid-19 va durablement changer dans nos manières de travailler ?
Laëtitia Vitaud. 2020 va indéniablement changer notre rapport à l’espace, avec une logique d’hybridation entre le télétravail et la vie de bureau. Certaines entreprises ont décidé de réduire la taille de leurs bureaux, d’autres de passer en full remote. La clé est désormais de réussir à coordonner ses équipes en présentiel et à distance par un management distribué. Avant, cela ne concernait que quelques pionniers, aujourd’hui, c’est l’affaire de tous ! C’est un défi immense surtout pour les entreprises qui pensent pouvoir refermer la parenthèse et “revenir à la normale”.

D’après les expériences recueillies dans votre livre, comment les entreprises sans bureau parviennent-elles à maintenir des liens et un esprit d’équipe ?
L.V. Beaucoup, comme Buffer et Zapier, investissent les sommes économisées (loyer, etc.) dans des retraites (ce qui comprend des billets de train/d’avion, la location d’un lieu, etc.). Elles inventent de nouveaux rituels pour créer des temps collectifs et cimenter la culture de l’entreprise. Ne plus avoir de bureau ne signifie pas ne plus se voir du tout ! En période de crise économique, faire des économies sur les coûts fixes est pertinent pour de nombreuses organisations : passer en full remote n’est pas forcément du militantisme, c’est parfois simplement une manière de faire face aux incertitudes et aux contraintes financières.

Vous expliquez aussi que l’empathie est plus que jamais nécessaire quand on travaille à distance…
L.V. Oui, tout à fait. Cela passe par des rituels écrits ou oraux : pendant le confinement, il était fréquent de terminer un mail ou une conversation en disant “Prenez soin de vous”. Cette expression est significative. Certes, le confinement ne reflète pas les conditions normales du télétravail, c’était une période extra-ordinaire. Mais la distance peut entraîner un sentiment de paranoïa et des inquiétudes : mon manager est-il content de mon travail alors qu’il n’a pas répondu à mon mail ? En présentiel, une tape sur l’épaule, un sourire, un rapide échange dans le couloir suffisent à rassurer. A distance, les managers doivent faire preuve d’un surcroît d’empathie vis-à-vis de leurs collaborateurs : ils doivent leur donner suffisamment de signes marquant leur appartenance au groupe. Tout doit être dit ou écrit pour assurer la sécurité émotionnelle de chacun, notamment les feedbacks (pas d’implicite à distance !). Cela lève toute ambiguïté, et aide aussi à se projeter dans l’avenir. Quand certains sont au bureau et d’autres en télétravail, passer par l’écrit évite que ces derniers se sentent exclus ou isolés.

Au-delà de passer par l’écrit, auriez-vous d’autres exemples d’initiatives concrètes permettant de favoriser l’empathie ?
L.V. Programmez régulièrement des entretiens en vidéo permet de tenir compte de l’importance du langage corporel. Il est également utile d’organiser des rituels virtuels pour remplacer les rituels physiques et les traditionnelles pauses-café. L’empathie peut en effet se transmettre par le partage de ressources et de moments : des bons plans pour les parents, des loisirs partagés… Tout cela cimente le vivre-ensemble et les interactions sociales permettent de se sentir psychologiquement en sécurité. Ce qui compte pour le salarié à distance, c’est d’avoir l’opportunité de se sentir connecté à son équipe, mais d’avoir aussi des occasions pour s’exprimer, partager ses préoccupations ou ses difficultés.

Vous travaillez en home-office depuis plusieurs années, quelles bonnes pratiques pourriez-vous nous transmettre ?
L.V. J’ai en effet appris au fil du temps à bien travailler de chez moi. Pour moi, la clé c’est de sacraliser votre travail. Ce n’est pas parce que vous êtes chez vous, que vous êtes LA personne systématiquement disponible pour les enfants, les tâches ménagères, l’administratif… On est parfois son pire ennemi, et si vous ne sacralisez pas votre propre travail, les autres ne le feront pas non plus ! Pour cela, avoir une pièce fermée pour y installer son bureau est l’idéal. Cela permet de bien se concentrer et de fermer la porte à la fin de sa journée de travail. J’aime aussi m’organiser pour avoir de longues plages de travail sans interruption, je rassemble les appels sur une demi-journée par exemple au lieu d’en avoir un peu tous les jours. Le fait de sanctuariser ce temps m’aide à écrire, et me retire du stress. Enfin, j’ai aussi appris à mieux communiquer à distance, à être plus explicite dans mes demandes. Au lieu d’attendre un retour dans l’angoisse, j’envoie un mail pour me rassurer. Ce sont des petites choses, mais qui changent le quotidien.

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Diplômée de Sciences-Po Paris, Fabienne Broucaret a fondé My Happy Job en 2016. Elle en a été la rédactrice en chef jusque fin 2022. Conférencière et journaliste, elle a écrit "Mon Cahier Happy at Work" (Solar) et "Télétravail" (Vuibert). Elle a aussi co-écrit “2h chrono pour déconnecter (et se retrouver)” avec Virginie Boutin (Dunod). Passionnée par les questions de mixité, elle est enfin l’auteure des livres "Le sport, dernier bastion du sexisme ?" et "A vos baskets toutes ! Tour de France du sport au féminin" (Michalon).

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