Coach, consultante en innovation managériale et experte des sujets de motivation, d’engagement et de transformation des organisations, Isabelle Rey-Millet enseigne le management à l’ESSEC. Elle a passé plus de 20 ans au sein de directions marketing et communication d’organisations de toutes tailles. Aujourd’hui directrice du cabinet Ethikonsulting à Boulogne-Billancourt, elle encourage les managers à casser leur routine pour changer des éléments de culture d’entreprise. Pour plus de motivation, de performance, et de bien-être dans les entreprises.

Vous travaillez sur le rôle du management dans les organisations. Pour vous, cette période incertaine, avec tous les changements induits par la crise sanitaire, est l’occasion de repenser les manières de faire…
Isabelle Rey-Millet. 
Oui car un grand nombre de managers et de dirigeants oublient que ce qui fait la performance d’une entreprise ce sont les Hommes. Dans la crise, on doit faire encore plus attention aux Hommes car ce sont des êtres d’émotions. L’environnement cherche à tout rationaliser, or le propre des humains est leur motivation intrinsèque, qui elle ne se rationalise pas. L’intérêt de la crise peut être de changer de paradigme pour réaliser que si on arrive à motiver ses collaborateurs, ils se donneront à 100% et pas à 50. Le Covid nous oblige à nous questionner, à nous remettre en cause. On doit casser la routine et chasser les mauvaises habitudes : pour les managers, cela oblige à challenger leur confort. On manque de gens en entreprise qui osent sortir de la routine.

Avec un objectif de performance ou de qualité de vie au travail ?
I.R.M.
Les deux mon capitaine ! On passe cinq jours sur sept en entreprise, soit 80% de son temps donc il faut que ces cinq jours soient agréables. C’est trop stressant et perturbant pour son équilibre personnel d’attendre le week-end dès le lundi matin ! Le bien-être du collaborateur mène à la performance de l’entreprise, sans manipulation, car les manipulations se repèrent.

Par quels mécanismes concrets les managers peuvent-ils agir ?
I.R.M. Un manager doit s’intéresser sincèrement à ses collaborateurs. Les traiter comme des pions n’a jamais fonctionné, en tous cas ne marche plus aujourd’hui. Beaucoup d’entreprises sont stressantes car leur cadre est flou ou parce que les services travaillent tellement en silos qu’ils ne se parlent pas entre eux. Le manager doit aussi savoir donner les bonnes informations et être dans le souci du travail de ses collaborateurs : ce que je dis à mes étudiants est qu’un manager ne peut pas connaître le job de son collaborateur (qui est plus expert que lui sur le contenu), mais il doit connaître ses difficultés et contraintes. Il faut démystifier le fait que les chefs doivent tout savoir, c’est faux ! Aujourd’hui, dans les entreprises, on est plus focalisés sur les agendas et la politique : les réunions servent les egos. On perd du temps ! Les managers passent entre 6 et 12 heures par semaine en réunion, sans ordre du jour clair. On empêche les gens de travailler ! Il faut alléger cela et arrêter avec le côté diplomatique des entreprises.

“Le courage n’est pas un acte héroïque, c’est de faire des petites choses qui feront bouger les lignes petit à petit”

Tout le monde peut alors agir à son niveau…
I.R.M. En effet, le manager doit regarder avec lucidité comment déléguer aux gens qui savent faire plutôt que de donner l’impression qu’il sait tout. Il doit gérer ses propres urgences, pas celles des autres. Chez LDLC, la semaine de quatre jours a été décidée d’en haut en demandant à tous de se réorganiser autrement. C’est plus facile quand cela vient d’en haut mais tout le monde peut contribuer à changer des éléments de culture. Je connais un manager qui a permis à ses équipes deux jours de télétravail, en passant sous les radars, alors que la direction n’en souhaitait qu’un seul. Les managers doivent savoir désobéir quand c’est légitime.

Les managers sont-ils suffisamment formés à ces enjeux ?
I.R.M. Pas suffisamment à mon goût ! C’est pour cela que je veux former les jeunes car c’est essentiel qu’ils aient cela dans leurs tripes assez tôt. Il y a des entreprises qui sont en avance sur ces sujets, d’autres qui font semblant de l’être mais qui ont toujours des pointeuses… Certaines sont encore complètement sclérosées, mais peuvent être sauvées avec de vraies politiques de formations managériales. D’autres savent que si elles ne se remettent pas en cause elles iront dans le mur. Je pense à Enedis qui est très lucide par rapport à ça. Leur patron de la transformation managériale prône vraiment une remise en cause et pousse à une formation différente des managers.

Constatez-vous que les entreprises profitent de la crise pour repenser leur management ?
I.R.M. Il y a eu des mouvements fin 2020-début 2021, mais cela manque de punch et de vraie remise en cause. Dans les petites boîtes, il y a souvent d’autres préoccupations… Les grands groupes, eux, font parfois les mêmes programmes managériaux depuis dix ans ! Ils sont dans une habituation hédonique comme le dit Christophe André (sorte d’usure et d’habitude envers ce qui nous rend heureux, ndlr). J’aimerais que ça aille plus vite. Je suis sortie de l’entreprise pour cela il y a vingt ans, mais il faut du courage de la part d’un manager pour sortir de son train-train et tenter des choses. Le courage n’est pas un acte héroïque, c’est de faire des petites choses qui feront bouger les lignes petit à petit.

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Titulaire d’un master de journaliste au Celsa (Paris), Lucie Tanneau est journaliste indépendante, sillonnant la France, et plus particulièrement l’Est de la France au gré des thèmes de ses articles. Elle collabore à de nombreux titres, de Liaisons sociales magazine, La Vie, et Okapi, en passant par Grand Est, l’Est éclair, Village, et Foot d’Elles.

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