La vie des parents est bouleversée par la crise du coronavirus depuis l’annonce de la fermeture des écoles et le début du confinement. Voici l’éclairage de Laure Hamel, consultante et coach certifiée, spécialisée dans le domaine de la parentalité, fondatrice de Parents rime avec talents.

Quels témoignages recevez-vous en cette période de confinement ?
Laure Hamel. Les retours sont très différents d’une famille à l’autre, qu’ils s’agisse d’une famille monoparentale, de deux parents présents à domicile, ou d’un parent voire deux qui continuent d’aller travailler sur leur lieu de travail habituel. La donne change également, bien sûr, que l’on s’occupe de un, deux, trois enfants (ou plus), ou que l’on soit aidant pour un proche malade. Beaucoup de paramètres rentrent en jeu et créent autant d’histoires de confinement différentes : les conditions de logement, le type d’activité professionnelle des parents, l’âge des enfants, etc.

Il est intéressant également de voir l’évolution des ressentis au fil des jours…
L.H. Tout à fait, certains parents déterminés au début à respecter le rythme de classe, à la minute près, avouaient au bout de quelques jours commencer à “craquer” devant les résistances et l’attitude d’opposition des enfants. Il y a aussi ceux qui (re)découvrent le plaisir des activités en famille avec leurs enfants et développent une créativité insoupçonnée ou encore ceux qui n’avaient pas spécialement prévu de cadre pour les semaines à venir et qui ont rapidement ressenti le besoin de poser des repères pour que justement tout se passe bien. D’autres ont un surplus d’activité lié à l’actualité et absolument besoin de se dégager du temps pour travailler…

Cet épisode inédit dans nos vies de famille pose la question de l’équilibre de vie, du vivre ensemble, du rapport au temps…

Quels conseils avez-vous envie de donner aux parents qui jonglent entre travail et école à la maison ?
L.H. De commencer par déculpabiliser ! Nous sommes tous des parents différents : chacun fait de son mieux, comme il peut ! Déjà que le changement est par nature inconfortable, nous devons tout à coup subir les conséquences d’un quotidien chamboulé sans y avoir été préparés et sans avoir rien demandé. Cette situation va durer plusieurs semaines dans un climat particulièrement anxiogène, il est nécessaire que chacun puisse prendre soin de soi au-delà des contraintes imposées. Notre capacité à vivre ensemble sous le même toit, à jongler entre nos différentes “casquettes” le plus sereinement possible, va dépendre de notre capacité à nous préserver, à préserver la qualité des relations à la maison et à accepter nos limites et nos émotions. Plus facile à dire qu’à faire bien sûr, mais primordial pour tenir – physiquement et moralement – dans la durée.

Concrètement, comment faire ?
L.H. En essayant de définir des “temps” dédiés à telle ou telle activité, pour éviter de faire trop de choses différentes à la fois et d’être en surchauffe, pour créer des repères aussi : là, on fait les devoirs, à telle heure Papa sera en réunion téléphonique, après on ira jouer, etc. Les enfants ont perdu leurs repères quotidiens (nous aussi !), il est important de leur recréer un cadre “sécurisant” où ils peuvent se repérer dans le temps, savoir ce qui les attend d’une heure à l’autre, d’un jour sur l’autre. Pas à la minute près ni dans les moindres détails (ce n’est pas le moment de se rajouter une pression d’enfer !) mais pour apaiser d’emblée quelques tensions dues au “On fait quoi maintenant ?”“T’avais pas dit que…”, “Mais pourquoi on ne fait pas ça ?” etc. Sonder les besoins et les propositions de chacun pour co-construire ce cadre favorise notamment son respect et son bon fonctionnement.

Essayer de s’isoler est aussi important ?
L.H. Il est en effet important de créer des “espaces” chez vous pour s’isoler par moment et être au calme, à tour de rôle si besoin. Penser à mettre sur sa to do list des temps de repos, des temps pour bouger également et se défouler. C’est pour le corps et pour l’humeur aussi ! Dansez en famille dans le salon, faites un peu de corde à sauter sur votre balcon, des exercices de yoga ou de méditation… Même quelques minutes par ci par là, s’autoriser à mettre un rendez-vous avec soi dans son agenda et à dire quand ça ne va pas, quand on n’y arrive pas, quand on craque. Appeler un proche ou remettre à plus tard ce qu’on voulait absolument boucler. Essayer au maximum de ne pas resté isolé avec ses difficultés.

Quid de l’école à la maison ?
L.H. Enseigner, c’est un métier ! Et à ses propres enfants, c’est encore moins évident !
N’attendons ni de nos enfants ni de nous-mêmes que tout soit parfait. Faisons de notre mieux et n’hésitons pas à demander de l’aide autour de nous si quelqu’un dans notre entourage serait plus pédagogue, plus doué en maths ou en grammaire. Improvisez des groupes de travail en visio entre ados qui pourront s’entraider entre eux. Plus les enfants sont jeunes, plus il est important de privilégier des temps de concentration très courts, de 10 à 20 min maximum (la méthode de Pomodoro fonctionne aussi pour les adultes !).

Pendant cette période d’école “hors les murs”, il nous faut composer aussi avec nos inquiétudes de parents qui nous rattrapent vite : peur que notre enfant prenne du retard, qu’il décroche, qu’il soit perdu… Souvenons-nous que l’enfant apprend beaucoup par le jeu et profitons des activités du quotidien pour s’entraîner. Un recette de gâteau ? Vive les unités de mesure ! Un peu de jardinage ? Leçon de sciences ! Une chanson qu’on adore ? Traduction d’anglais !

Comment parler du coronavirus aux enfants ?
L.H. Utilisez des mots simples et n’hésitez pas à vous appuyer sur des contenus explicatifs pensés pour les enfants. Il y a actuellement beaucoup de ressources en ligne gratuites à disposition. La BD de “Coco le virus”, par Marguerite et Paul de Livron par exemple, a beaucoup circulé et est très bien faite pour expliquer la situation aux enfants. Le site du Petit Quotidien a mis également plein de ressources gratuites en ligne qui permettent de mettre des mots sur l’actualité, à hauteur d’enfants d’âges différents. Il est important de créer des temps d’échange aussi, où chacun peut mettre des mots sur ses ressentis et les partager. “Oui moi aussi je suis inquiet.e ,mais comme toi mais je fais très attention et je me protège au maximum”, “Moi non plus je ne trouve pas ça marrant d’être coincés à la maison, je comprends que tu sois fâché.e et que tes copains te manquent”. En favorisant la recherche de solutions : “Qu’est-ce qui te rassurerait quand je pars travailler ?”, “Qu’est-ce que tu aimerais faire là pour arrêter d’y penser ?” Permettre à l’enfant de verbaliser c’est aussi éviter qu’il ne “fantasme” une situation pire encore que la réalité.

Comment ne pas céder à ce climat anxiogène ?
L.H. Il est important de rester autant que possible centré sur l’instant présent. Ce n’est pas évident lorsque nos peurs de l’avenir sont là, mais c’est en restant connectés au “tout de suite et maintenant” (là on est en train de jouer à un jeu, de rigoler, de dîner) que l’on pourra calmer quelques angoisses, au moins temporairement. Pour cela, pouvoir se couper par moment de la radio, de la TV, des notifications sur le smartphone et des sources d’info qui alimentent le stress est utile.

Face au “chaos” dehors, privilégions le calme et la paix que l’on peut apporter à l’intérieur.

Avez-vous connaissance de bonnes pratiques mises en place depuis le début du confinement par des entreprises pour aider les parents et plus largement les aidants ?
L.H. Là encore, les moyens mis en œuvre et la réactivité dépendent des situations et des moyens de chacun. On voit se déployer beaucoup de webinars que des entreprises mettent à disposition de leurs collaborateurs pour “s’organiser en télétravail”, “animer des réunions efficaces à distance… Des sophrologues sont sollicités pour aider à distance les salariés à gérer leur stress en période de confinement. Un point de départ très important est d’accepter que les rythmes de travail soient différents de d’habitude. Plus encore que d’ordinaire, chacun doit composer avec ses contraintes personnelles et son rôle de parent à plein temps. Tolérance et souplesse sont recommandées. Tout le monde ne peut pas se permettre pour autant, en pleine crise économique, de débloquer en plus des budgets pour arranger le quotidien des familles. Ce qui compte c’est l’accompagnement, d’une manière ou d’une autre.

Parfois, être source d’informations utiles aide déjà beaucoup. Pouvoir rappeler aux aidants quels sont leurs droits, les aider dans les démarches à mettre en place, leur donner les contacts à appeler en cas de besoin. L’association Terra Psy en Normandie a mis en place une cellule d’écoute psychologique pour les parents confrontés à tous types de difficultés, des avocats assurent des permanences gratuites. Communiquer sur les initiatives existantes permet d’apporter un premier soutien concret. Créer des réseaux d’entraide entre collaborateurs fonctionne bien également, pas besoin forcément d’aller toujours chercher des ressources externes. C’est l’occasion de renforcer les liens entre les équipes et construire de belles valeurs dans la culture de l’entreprise.

L’occasion aussi de (re)penser la parentalité dans les entreprises ?
L.H. Oui, de nombreux enjeux autour de la parentalité au travail sont clairement mis en exergue par l’actualité et les répercussions sur nos vies quotidiennes. Je suis sollicitée depuis quelques jours par de nouvelles entreprises, qui souhaitent que l’épreuve que nous traversons soit l’occasion d’entamer une réflexion profonde sur l’accompagnement de la parentalité au sein de leur organisation. Afin de mettre en place des actions concrètes et utiles pour l’avenir. Les périodes de “crise” sont aussi de formidables terrains d’innovation. La parentalité au travail est un vecteur d’innovation sociale, un levier d’engagement, de performance et d’attraction pour les entreprises.

Quels seraient vos conseils aux managers/DRH car il y a souvent des profils très différents au sein d’une même équipe ?
L.H. Les fonctions RH sont très sollicitées en ce moment avec les arrêts de travail et la mise en place du chômage partiel pour beaucoup d’entreprises. Les managers n’ont plus leurs équipes auprès d’eux. Le télétravail ne s’improvise pas, il se pense et s’organise en amont pour bien fonctionner normalement… Là, il a fallu s’y mettre du jour au lendemain ! Ce n’est pas simple, surtout sous tension, mais essayez d’être au maximum dans le dialogue. Privilégiez l’écoute, la considération de la situation et la reconnaissance des efforts de chacun dans cette période si particulière.. Notamment parce que le contexte personnel et familial rentre pleinement en jeu dans la manière dont on va pouvoir fournir le travail qui nous est demandé.

Le risque d’épuisement est élevé pour certains ?
L.H. On risque gros en effet à être à 300% sur tous les fronts à la fois. Évidemment, flexibilité et agilité sont de mise. Cela vaut la peine de repenser le travail en termes de tâches plus encore que de postes et d’activité habituellement délimités : qu’est-ce qui est faisable à distance ? En mobilisant les compétences et les talents de qui ? Comment s’entraider pour être plus efficaces ? Pour autant, au moment d’être chacun “dans son coin”, définir clairement le qui fait quoi et comment on s’y prend est également fondamental pour ne pas épuiser les forces de chacun d’emblée. Misez sur les recherches de solutions de manière collaborative, pour préserver le sentiment d’appartenance et de contribution. Il y besoin de nourrir l’engagement de chacun pour que cela fonctionne et de créer un lien de confiance à tous les niveaux de la hiérarchie.

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Diplômée de Sciences-Po Paris, Fabienne Broucaret a fondé My Happy Job en 2016. Elle en a été la rédactrice en chef jusque fin 2022. Conférencière et journaliste, elle a écrit "Mon Cahier Happy at Work" (Solar) et "Télétravail" (Vuibert). Elle a aussi co-écrit “2h chrono pour déconnecter (et se retrouver)” avec Virginie Boutin (Dunod). Passionnée par les questions de mixité, elle est enfin l’auteure des livres "Le sport, dernier bastion du sexisme ?" et "A vos baskets toutes ! Tour de France du sport au féminin" (Michalon).

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