Face à l’urgence climatique, de plus en plus de salariés expriment une angoisse environnementale qui déborde sur leur vie professionnelle. Selon une étude menée par Moodwork auprès de plus de 1 000 salariés, les personnes les plus éco-anxieuses présentent deux fois plus de risques de burn-out. Managers, jeunes actifs et profils très diplômés sont les plus exposés, confirmant que l’éco-anxiété n’est pas un simple malaise sociétal, mais un sujet de santé mentale à part entière pour les entreprises. Décryptage avec Clément Poirier, chercheur en psychologie. 

Quel était le but de votre étude ?
L’objectif était de comprendre la perméabilité entre la sphère professionnelle et la sphère personnelle, même si l’on sait qu’elles ne sont jamais totalement imperméables. Nous voulions savoir à quel point c’était réellement un sujet. Et, de là, s’est posée la question : est-ce que l’éco-anxiété, ou tout ce qui l’entoure, doit être considérée comme un sujet à part entière au sein des entreprises, au même titre que la charge de travail, le stress ou encore le numérique, qui sont déjà intégrés dans les diagnostics de risques psychosociaux.

Comment définiriez-vous l’éco-anxiété ?
L’éco-anxiété est un terme “chapeau” que l’on utilise pour englober différentes émotions ressenties face aux enjeux liés au changement climatique, aux catastrophes naturelles, à la perte de biodiversité, etc. C’est une inquiétude envers l’évolution environnementale actuelle : l’extinction des espèces, les incendies, les inondations, le dérèglement climatique global. C’est une forme d’inquiétude généralisée face à ces transformations.

Quel lien avez-vous pu établir entre l’éco-anxiété et la santé mentale ?
Dans notre étude, menée auprès de plus de 1 000 salariés français représentatifs, nous avons constaté un lien statistique clair entre le niveau d’éco-anxiété ressenti et le niveau d’épuisement professionnel, ainsi que de stress. Je précise qu’il ne s’agit pas d’un lien de causalité directe, mais la corrélation existe : les salariés les plus éco-anxieux présentent deux fois plus de risques de burn-out ou de stress professionnel.

Concrètement, comment cette éco-anxiété se manifeste-t-elle selon les degrés ?
Dans les cas extrêmes, elle peut mener à des troubles anxieux généralisés, voire à des dépressions majeures. Dans ces situations, une prise en charge psychiatrique est parfois nécessaire. Ce sont des cas rares, mais réels.

Avez-vous observé des différences selon les âges ou les professions ?
Oui, quelques-unes. Les managers présentent un niveau d’éco-anxiété plus élevé que les non-managers. Les femmes, en moyenne, se disent également plus concernées que les hommes, même si, parmi les personnes les plus éco-anxieuses, cette différence tend à disparaître. Concernant l’âge, nos résultats rejoignent ceux d’autres études : ce sont les 25-35 ans qui affichent le score moyen d’éco-anxiété le plus élevé. Ensuite, le niveau diminue avec l’âge.

Comment expliquez-vous que les managers soient les plus touchés ?
Les managers sont déjà les plus exposés aux risques psychosociaux en général. Ils se retrouvent “entre le marteau et l’enclume” : ils doivent écouter leurs collaborateurs, parfois eux-mêmes inquiets ou éco-anxieux, tout en appliquant les décisions et la stratégie de leur entreprise, qui ne correspond pas toujours à leurs valeurs. Cette tension crée une forme de dissonance cognitive. Plus on monte dans la hiérarchie, plus la conscience des enjeux écologiques est grande — et plus l’éco-anxiété augmente. Les études montrent aussi que le niveau d’éducation est corrélé à ce sentiment : plus le niveau de diplôme est élevé, plus l’éco-anxiété est marquée.

Qu’est-ce qui vous a le plus interpellé dans cette étude ?
La corrélation forte entre le niveau d’éco-anxiété et l’épuisement professionnel : un coefficient de corrélation de 0,56, ce qui est important. Cela montre que le vécu émotionnel lié à l’environnement influence directement le vécu émotionnel lié au travail. Les personnes éco-anxieuses s’épuisent plus vite — ou, inversement, leur épuisement renforce leur anxiété. Cela souligne la perméabilité entre ces deux sphères et en fait un véritable sujet pour les entreprises.

Que conseillez-vous justement aux entreprises et aux RH face à cette perméabilité ?
Il faudrait d’abord reconnaître l’éco-anxiété comme un sujet de santé mentale au travail. Par exemple, l’intégrer dans les baromètres sociaux ou les mesures de bien-être. On pose déjà des questions sur l’équilibre vie pro/vie perso ; pourquoi ne pas interroger aussi l’impact des préoccupations environnementales sur le bien-être ? Ensuite, il serait utile d’en faire un vrai sujet de discussion dans les instances comme les CSE ou les comités de pilotage, voire de créer des comités spécifiques. Les entreprises pourraient aussi proposer un accompagnement psychologique ciblé, comme elles le font pour le burn-out, les addictions ou la nutrition. Enfin, intégrer ces enjeux environnementaux dans les indicateurs de performance permettrait de mieux relier santé mentale, écologie et performance collective.

Et, à titre individuel, que conseilleriez-vous à quelqu’un qui se sent éco-anxieux ?
Les recherches montrent que l’éco-anxiété peut à la fois favoriser et freiner l’action. Les personnes les plus éco-anxieuses ont tendance à être paralysées. Celles qui le sont de façon modérée passent plus facilement à l’action : elles s’engagent, participent à des associations, à des manifestations, votent pour des partis écologistes. Agir, même à petite échelle — par exemple en lançant un projet de covoiturage ou de tri des déchets au travail — permet de reprendre un sentiment de maîtrise et de réduire l’angoisse. Le collectif joue un rôle essentiel : échanger, s’impliquer, créer du lien aide beaucoup à canaliser cette anxiété.

Enfin, y a-t-il un dernier enseignement important à retenir de votre étude ?
Oui : environ un salarié sur dix présente un risque élevé d’éco-anxiété. Ce chiffre rejoint celui observé dans la population générale, selon une étude de l’ADEME menée par Pierrick Sutter en 2025. Cela montre que l’éco-anxiété n’est pas marginale : dans une équipe de dix personnes, une est potentiellement très concernée. Ce n’est pas négligeable.

Pour aller plus loin : téléchargez l’étude de Moodwork sur l’éco-anxiété.

Pour ne rater aucune actualité en matière de qualité de vie au travail, inscrivez-vous à la newsletter de My Happy Job.

A lire aussi :
– 7 réflexes qui vous donnent l’impression d’être efficace… mais vous épuisent
– Les 10 erreurs à éviter pour prendre soin de soi au travail

 

Article précédentLes 10 erreurs à éviter quand on veut instaurer une vraie culture du bien-être au travail
Diplômée de Sciences-Po Paris, Fabienne Broucaret a fondé My Happy Job en 2016. Elle est aussi la rédactrice en chef de Courrier Cadres, Rebondir et L'officiel de la franchise. Elle anime le podcast "Good Job" et co-anime le podcast "Les petits cailloux" avec Aurélie Durand. Elle a écrit "Mon Cahier Happy at Work" (Solar) et "Télétravail" (Vuibert). Elle a aussi co-écrit “2h chrono pour déconnecter (et se retrouver)” avec Virginie Boutin (Dunod).

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici