Si on ne choisit pas ses collègues, on peut choisir de créer un environnement de travail bienveillant et d’entretenir des relations professionnelles basées sur la confiance, l’écoute, la sécurité psychologique. Voici des pistes pour veiller sur chacun, tout en faisant avancer le navire.

Un individualisme grandissant et une pression sur les performances individuelles. C’est à ces deux facteurs que la majorité des salariés en détresse psychologique interrogés dans le cadre du dernier baromètre Empreinte humaine attribuent leur mal-être. “En France, on valorise la compétition individuelle au détriment de la collaboration”, déplore Christophe Nguyen, psychologue du travail. Pourtant, les équipes performantes sont celles qui font passer le collectif en premier. Comme dans le sport, où la présence d’individus, si exceptionnels soient-ils, ne suffit pas à créer l’alchimie et à mener à la victoire. “Quand on motive par le stress, on entretient l’idée qu’il faut survivre et que les plus résistants prennent les meilleurs postes, ajoute Christophe Nguyen. Mais cela a un impact sur la santé de tout le monde, ce n’est pas durable. Réussir tout seul de façon isolée et contre les autres, sans impact d’utilité collective, est d’ailleurs moins bénéfique pour la santé que lorsqu’on est connecté aux autres.”

Et moins bon aussi pour les entreprises, surtout pour passer les tempêtes, nombreuses à l’heure actuelle : “Être constamment en recherche d’une productivité et d’une compétitivité accrues est une vision à court terme qui se voit dans les taux de turnover, d’arrêts maladie, les coûts de recrutement… Cela pèse sur l’économie et le rapport au travail.” La santé mentale, un enjeu stratégique pour les entreprises ? Absolument, répond le psychologue du travail. “Ce n’est pas juste un cadeau qu’elles vous font lorsqu’elles sont rentables ! Il ne s’agit pas uniquement d’intégrer les personnes bipolaires, borderline, neuroatypiques ou en situation de handicap psychique au travail, mais d’adopter une approche inclusive face à un individualisme grandissant qui est un facteur de risque de délitement du collectif et du sentiment d’appartenance, surtout chez les jeunes générations”, précise-t-il. 

Le rôle clé du manager

En la matière, le manager a, bien sûr, un rôle central. Il est, selon l’étymologie même du mot – mesnager en vieux français – celui qui prend soin des autres. De chacun, avec ses différences. “C’est bien l’équité qui est à mettre en place, pas l’égalité, surtout face aux fragilités, affirme Eric Bardin, manager de la fabrique innovations sociales chez Malakoff Humanis. Si on n’adapte pas son management au parcours de la personne, ça ne marchera pas.” Pour Christophe Nguyen, cela fait partie intégrante de la reconnaissance au travail, un des premiers remparts contre une santé mentale dégradée, dont il est très peu question : “On a l’impression qu’on va parler argent et évolution professionnelle, et cela en fait partie, mais cela va plus loin. C’est prendre en compte collectivement la vie de chaque collaborateur : de celui qui est un jeune parent, de celui qui est aidant…”

Mais, souvent surchargé, pris entre le marteau et l’enclume, parfois sans ressources et sous la pression des objectifs, un manager peut avoir du mal à remplir ce rôle. “Avant tout, il est fondamental de pouvoir se remettre en question sur la façon dont on s’est construit par rapport au sujet de la santé mentale, sur nos limites et nos stéréotypes, estime Noémie Guerrin, préventrice et consultante experte santé mentale au travail et risques psychosociaux. Pense-t-on, par exemple, que la dépression, c’est un truc de feignant, qu’il suffit de se mettre un coup de pied aux fesses pour aller mieux ?” Prendre conscience de ses idées reçues en la matière est la première étape pour les détricoter.

Deuxième pilier : se former. Une formation connaît aujourd’hui un franc succès, celle des premiers secours en santé mentale. Au programme : acquérir les connaissances de base concernant les troubles en santé mentale, savoir identifier des signaux faibles, et réagir en cas de crise. Dans le même esprit, participer en équipe à la Fresque de la santé mentale peut être une bonne idée. Autre bonne pratique : créer des espaces pour que chacun puisse formaliser ses ressentis. “C’est organiser des temps de régulation, des entretiens qui ne soient pas que de performance, des cercles de parole, continue Noémie Guerrin. Cela peut être aussi le manager, qui, une fois par mois, se met dans la salle de pause et prévient qu’il est là pour écouter.”

Créer un climat de sécurité psychologique

L’enjeu ? “Favoriser une culture d’attention à l’autre, pas une posture individuelle, mais un cadre collectif visible et vécu”, poursuit Noémie Guerrin. Son pilier : la création d’un climat de sécurité psychologique, où chacun sait qu’il peut parler en toute confiance. Un cadre fondamental pour des relations plus authentiques et un climat de coopération et de loyauté. “C’est se mettre en position d’écoute de l’autre, poser des questions : comment vas-tu vraiment ? Comment te sens-tu ? C’est favoriser l’expression libre sans donner de conseils, en laissant des silences, en ne coupant pas la parole, en reformulant pour clarifier… C’est écouter non pas pour répondre mais pour comprendre”, indique Noémie Guerrin.

Un manager n’est pas un thérapeute. Son rôle : réguler, orienter, une fois qu’il les connaît, vers les bonnes ressources – médecine du travail, RH, psy… Pour Noémie Guerrin, tout manager, garant du collectif et du cadre de travail, doit se poser la question : “Suis-je la meilleure personne pour mener une démarche d’écoute poussée ?” D’autant que la personne en face n’est pas obligée d’accepter cette aide, et peut être dans le déni, le refus de parler. “Il ne faut pas perdre de vue qu’on ne nous reprochera jamais d’avoir tendu la main, commente Claire Le Roy-Hatala, docteure en sociologie des organisations. Même si la personne ne s’en saisit pas tout de suite, c’est très important de sentir une main posée sur son épaule. Quand on est en état de détresse psychique, on ressent une grande solitude, c’est la roue du hamster qui ne peut plus s’arrêter.”

Chacun son rôle à jouer

Ce climat de sécurité psychologique ne repose pas uniquement sur le manager. “Chacun a un rôle individuel à jouer dans cette sécurité psychologique et l’entretien d’un bon collectif, dans le maintien d’une atmosphère chaleureuse et ouverte, bienveillante”, rappelle Christophe Nguyen. Plus la parole sera libre, plus les choses seront dites rapidement et écoutées, plus les non-dits et la plupart des conflits seront évités, les problèmes réglés… et plus l’équipe sera performante. Autre pilier d’une bonne santé mentale : l’importance de faire du bon travail. La qualité empêchée, ou l’impossibilité de pouvoir bien effectuer son travail, constitue l’un des six RPS, risques psychosociaux professionnels. “C’est pouvoir faire un boulot dont on est fier, ensemble. C’est une piste à creuser pour embarquer l’entreprise à aller sur ce sujet de la santé mentale, autour de la notion d’efficacité”, renchérit Christophe Nguyen. Pour prendre soin de tous, il est bon d’être constamment et collectivement attentifs aux RPS : avons-nous des relations professionnelles de qualité ? Travaillons-nous en autonomie et en confiance ? Notre charge de travail est-elle supportable ? Recevons-nous de la reconnaissance au travail ? Notre travail a-t-il suffisamment de sens ? Autant de questions à se poser, et à poser aux autres.

Cas pratique

Un de nos collègues se renferme, mais ne veut rien dire. Que faire ? Les conseils de Christophe Nguyen.

“Demandez-vous qui est la meilleure personne pour aller le voir. Mieux vaut quelqu’un dont il se sente proche, en sécurité psychologique. Si vous êtes inquiet, cela doit passer par le manager, qui a la responsabilité légale de protection de la santé. Même s’il s’agit d’un problème personnel, comme d’un divorce, il s’agit de prendre les choses en compte, sans forcément les prendre en charge, de montrer de l’attention et son inquiétude. Restez sur les faits, sans juger les comportements ni poser un pseudo-diagnostic, qui relève du médecin et du psy. On aide en écoutant, en accompagnant et en passant le ballon à la bonne personne.”

Pour ne rater aucune actualité en matière de qualité de vie au travail, inscrivez-vous à la newsletter de My Happy Job.

A lire aussi :
Prendre soin de soi en tant que manager
Les 10 erreurs à éviter pour prendre soin de soi au travail

Article précédentL’éco-anxiété, un facteur majeur de burn-out

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici