Nicolas Demorand, Camille Lacourt, Michèle Bernier, François Berléand… Alors que de nombreuses personnalités ont levé voile sur leurs troubles psychiques et qu’il n’a jamais été autant question de santé mentale dans l’espace public, celle-ci peine à entrer en entreprise, où elle demeure encore taboue. État des lieux.
Le journaliste Nicolas Demorand a utilisé des mots forts : “Je suis un malade mental.” C’est ainsi que l’ancien directeur de Libération, qui coanime aujourd’hui la matinale de France Inter, a dévoilé sa bipolarité dans son livre Intérieur nuit (Les Arènes). Il y raconte vingt ans d’errance médicale, à souffrir en silence. “Tous les gens autour de moi pensaient que je vivais ma meilleure vie, mais j’avais envie de me foutre en l’air, de partir. Parce qu’une fois au sommet, on ne m’a pas donné le mode d’emploi.” Ces mots, eux, sont de Yannick Noah au sujet de son sacre à Roland Garros en 1983. L’ancien champion relate, dans le documentaire “Santé mentale : briser le tabou”, diffusé sur M6, en mai dernier, sa profonde dépression, qu’il a tenté de noyer dans l’alcool. À ses côtés, les nageurs Florent Manaudou ou encore Camille Lacourt, les comédiens Michèle Bernier et François Berléand, mais aussi des anonymes, racontent leurs souffrances psychologiques. Jamais il n’a été autant question de santé mentale, grande cause nationale 2025.
S’autoriser à dire qu’on ne va pas bien
“Ce sujet était interdit, inexistant avant le Covid, explique Claire Le Roy-Hatala, intervenante en santé mentale et travail, docteure en sociologie des organisations et auteure de La Vérité sur les troubles psychiques au travail (Payot). Mais la crise sanitaire nous a déstabilisés, elle nous a déséquilibrés sur le plan psychique, notamment au travail, on s’est retrouvés enfermés chez nous, avec la peur de l’avenir. Après, on s’est autorisé à dire qu’on n’allait pas très bien.” Une libération de la parole salutaire pour briser l’isolement et le sentiment de solitude des personnes touchées par des difficultés psychiques. “Je suis pas tout seul à être tout seul. Ça fait déjà ça de moins dans la tête. Si je comptais combien on est. Beaucoup”, chante Stromae dans “L’enfer”, où il raconte sa dépression.
Épisode anxieux-dépressif, TOC (trouble obsessionnel compulsif), phobie, addiction, burn-out… Une personne sur quatre sera confrontée à un trouble psy au cours de sa vie, selon l’OMS. Mais la santé mentale ne “se limite pas à l’absence de troubles psychiques“, prévient Noémie Guerrin, préventrice et consultante experte santé mentale au travail et risques psychosociaux et auteure de Prenez soin de votre santé mentale au travail et de celle des autres (Vuibert) : “Tout le monde en a une. Chacun d’entre nous peut passer au cours de sa vie par des phases de santé mentale plus ou moins bonne, sans forcément souffrir de troubles.” Pourtant, dans l’imaginaire collectif, la santé mentale reste associée à la folie, à la psychiatrie, aux pathologies lourdes. Un raccourci qui alimente les stéréotypes, la stigmatisation des personnes malades et le tabou.
Un éveil des consciences au travail
Toujours selon l’OMS, “la santé mentale est un état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive et d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté”.
Dans la vie professionnelle, les métiers pourvoyeurs de sens et qui ont une utilité sociale constituent “des remparts en matière de santé mentale“, commente Christophe Nguyen, psychologue du travail et fondateur du cabinet Empreinte humaine. Là où les bullshit jobs, vides de sens, la mettent en péril. Mais le manque d’impact et l’ennui ne sont pas les seuls fossoyeurs de notre santé psychique. S’ajoutent “la mutation de nos modes de travail, la pression de performance : l’hyperproductivité, qui pousse à ignorer ses limites, au prix d’une usure mentale et cognitive, joue également un rôle”, selon Noémie Guerrin. Si on n’a jamais autant parlé de santé mentale, près de la moitié des salariés sont en situation de détresse psychologique, selon le dernier baromètre Empreinte humaine (avril 2025) : un paradoxe ? “Le sujet reste difficile à aborder en entreprise. Les salariés concernés ont peur de dire leur fragilité par crainte d’être stigmatisés, comme en cas de handicap, éclaire Eric Bardin, manager de la fabrique innovations sociales chez Malakoff Humanis. Quant aux managers, RH, dirigeants, ils craignent souvent de l’aborder car c’est un sujet très intime.”
Un enjeu pour les entreprises
Assurer la santé physique et mentale de leurs collaborateurs constitue une obligation légale pour les entreprises. Mais rares sont celles qui s’attaquent véritablement au sujet de la santé mentale, forment les managers et les RH sur le sujet, sensibilisent les salariés, accompagnent les retours au travail… “S’il est commun d’organiser un webinaire sur l’équilibre de vie pro-vie perso, peu d’entreprises analysent les conditions de travail et leur optimisation car elles ont compris leur impact sur la santé mentale des collaborateurs et sur la performance de l’entreprise”, estime Noémie Guerrin. L’enjeu ? Pouvoir intervenir plus vite, idéalement avant que les situations ne se dégradent, en permettant aux collaborateurs de s’exprimer et en identifiant les signaux faibles plus tôt. Et rejoindre ainsi une aspiration des salariés. “La prise en compte des fragilités et de la santé mentale est une attente des collaborateurs, précise Eric Bardin. Le sujet va devenir stratégique pour les entreprises par la force des choses. Dans un marché du travail tendu, les salariés iront vers les entreprises où ces fragilités sont prises en compte et où il est possible d’en parler.”
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