Les promesses de l’intelligence artificielle en entreprise pourraient être compromises par un obstacle : une journée de travail qui n’en finit plus. C’est l’un des enseignements majeurs du Work Trend Index 2025 publié par Microsoft, qui alerte sur les dérives de l’hyperconnexion dans les entreprises.
À travers l’analyse de milliards de données anonymisées issues de Microsoft 365, le rapport dresse un constat sans appel : la journée de travail commence de plus en plus tôt, et se prolonge bien après les horaires traditionnels.
Une journée de travail sans début ni fin
À 6 heures du matin, déjà 40 % des utilisateurs connectés consultent leurs mails. En moyenne, un salarié reçoit chaque jour 117 e-mails et 153 messages sur Teams, dont une majorité sont lus en moins d’une minute – sans réelle attention ni hiérarchisation.
Ces notifications permanentes se transforment en bruit de fond numérique. Les réunions ne font qu’accentuer le phénomène : 50 % d’entre elles se concentrent entre 9h-11h et 13h-15h, horaires qui correspondent pourtant aux pics naturels de productivité. Le mardi devient la journée la plus chargée en réunions (23 %), contre seulement 16 % le vendredi. Plus préoccupant encore, 60 % de ces réunions sont non planifiées, et 1 sur 10 est calée à la dernière minute.
Une hyperconnexion qui ronge la concentration
La promesse d’un temps de concentration libéré reste largement illusoire. Selon Microsoft, les salariés sont interrompus toutes les deux minutes pendant leur journée de travail, soit 275 sollicitations en 24 heures. À 11h, moment critique pour la concentration, 54 % des utilisateurs sont déjà actifs sur les canaux de messagerie.
Même les périodes sans réunion – souvent l’après-midi – ne sont pas synonymes de calme : elles coïncident avec des pics d’utilisation de Word, Excel ou PowerPoint, suggérant une tentative désespérée de se recentrer. Résultat : 48 % des salariés et 52 % des cadres décrivent leur quotidien comme “chaotique et fragmenté”.
L’étude souligne également la complexification croissante de la coordination : 57 % des réunions sont informelles, 30 % traversent plusieurs fuseaux horaires (soit +35 % depuis 2021) et les réunions de plus de 65 participants explosent. Les dix minutes précédant un échange sont le théâtre d’un pic de 122 % d’édition de fichiers PowerPoint – véritable “bachotage numérique”.
La multiplication des échanges en dehors des heures ouvrées confirme l’effritement des frontières entre vie professionnelle et vie personnelle. Les réunions après 20h ont bondi de 16 % en un an ; 58 messages sont envoyés ou reçus par collaborateur en dehors des plages horaires standards. À 22h, près de 30 % des travailleurs sont encore dans leur messagerie. Le week-end n’est pas épargné : 20 % des salariés consultent leurs mails avant midi le samedi et le dimanche, et plus de 5 % s’y reconnectent dès 18h le dimanche.
Pour certains, ces moments permettent une reprise de contrôle sur une semaine saturée. Mais pour beaucoup, notamment les salariés en mode hybride, cette charge devient source d’anxiété chronique. Un tiers des travailleurs interrogés estiment que le rythme des cinq dernières années est devenu tout simplement impossible à suivre.
En France, une alerte sur les risques psychosociaux
La FIRPS tire elle aussi la sonnette d’alarme. Pour sa présidente Isabelle Tarty, l’hyperconnexion entraîne une “surcharge cognitive, des troubles du sommeil, un isolement croissant et un désengagement progressif“, tout en creusant les inégalités au sein des collectifs.
Or, malgré l’existence du droit à la déconnexion (inscrit dans la loi depuis 2016 pour les entreprises de plus de 50 salariés), peu d’organisations semblent en promouvoir l’application effective. Certaines vont jusqu’à bloquer l’envoi de mails après les heures de travail, mais l’enquête mondiale de Microsoft suggère que ces initiatives restent marginales.
Face à ce constat, la FIRPS recommande une série de mesures concrètes : horaires clairs, encadrement partagé du télétravail, sobriété numérique, soutien psychologique 24/7, détection des signaux faibles par les managers, ou encore intégration de l’hyperconnexion dans le DUERP (document unique d’évaluation des risques professionnels).
Repenser les organisations à l’ère de l’IA
Pour Microsoft, sortir de cette impasse ne passe pas uniquement par la technologie, mais par un changement de culture. Deux axes sont proposés :
- Appliquer la règle des 80/20 : se concentrer sur les 20 % des tâches à fort impact, automatiser le reste avec des agents IA pour libérer du temps pour les décisions clés et la concentration.
- Devenir un “agent boss” : comme le chercheur Alex Farach, déléguer une partie du travail à des IA spécialisées (veille, analyse, synthèse) pour se recentrer sur la valeur ajoutée.
L’enjeu n’est pas seulement de moderniser les outils, mais de redéfinir le temps de travail lui-même. Car comme le résume le rapport, « la question n’est pas de savoir si le travail va changer, mais si nous allons changer avec lui. »
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