Le stress au travail, tout le monde voit de quoi il s’agit. Mais avez-vous déjà entendu parler du job strain ou « tension au travail » ? La différence est subtile mais essentielle : on peut être stressé avec une grosse charge… et pourtant garder la main (et la motivation) grâce à son autonomie. Le job strain apparaît quand l’équation se déséquilibre : des exigences élevées s’ajoutent à une faible latitude décisionnelle. Résultat : un terrain à haut risque pour la santé et l’engagement des salariés.

En France, l’ampleur du phénomène est documentée. L’enquête SUMER 2010 (Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels) révélait que 23 % des salariés étaient exposés au job strain, et près de 43 % d’entre eux considéraient que leur travail avait un effet négatif sur leur santé. Les données plus récentes (2017) confirment cette tendance, avec environ un salarié sur quatre concerné, notamment dans la fonction publique hospitalière, le commerce et les services.

L’INRS rappelle que cette combinaison est délétère : « De nombreuses études épidémiologiques ont montré un lien entre job strain et risques accrus de maladies cardiovasculaires, troubles musculo-squelettiques et atteintes de la santé mentale » (INRS, Travail et Sécurité, TF 236, 2016). Bonne nouvelle cependant : il existe des outils pour mesurer cette tension et surtout des leviers d’action, à l’échelle individuelle, managériale et organisationnelle.

Deux modèles pour éclairer le phénomène de job strain

Dès les années 1970, le professeur de psychosociologie Robert Karasek – au département Travail et Environnement de l’Université Lowell au Massachusetts (Boston) – a tenté de formaliser ces tensions. Son modèle, toujours utilisé, repose sur deux dimensions : la demande psychologique (quantité, complexité, contraintes de temps) et le contrôle (autonomie, capacité à agir). Plus la demande est forte et le contrôle faible, plus le risque de job strain augmente.

Le modèle a ensuite évolué, souligne Michel Abitteboul, coach, conférencier et auteur de La boîte à outils pour prévenir la charge mentale (Dunod) : « On s’est rendu compte qu’il y a plein d’ingrédients qui vont peser sur ce qui peut générer de la tension. Et notamment la notion d’environnement social, de soutien social, qui a été rajoutée. » Un collègue présent, un manager à l’écoute : autant de ressources qui peuvent atténuer l’effet délétère d’un poste sous tension. Selon l’enquête SUMER, les salariés exposés au job strain et qui disposent d’un faible soutien social sont nettement plus nombreux à exprimer des inquiétudes pour leur santé.

Johannes Siegrist, un sociologue suisse, a donc proposé une lecture complémentaire : celle de l’effort-récompense. Il ne s’agit plus seulement de regarder l’équilibre entre demandes et autonomie, mais de mettre en balance ce que le salarié donne et ce qu’il reçoit. Si les efforts demandés dépassent largement les gratifications obtenues – financières, symboliques ou relationnelles – alors le risque de tension au travail augmente fortement. Ce modèle éclaire ainsi une autre facette du job strain : ce n’est pas seulement l’absence d’autonomie, mais aussi le déficit de reconnaissance qui fragilise la santé et l’engagement.

Comment mesurer votre job strain ? 

Le job strain se mesure à l’aide de questionnaires. Le plus connu reste celui de Karasek. « Il y a des questionnaires qui permettent d’évaluer de façon quantitative un niveau de strain job. Il y a 29 questions : 9 sur la demande, 9 sur le contrôle et 6 sur le soutien », rappelle Michel Abitteboul. Particularité : il s’agit d’une auto-évaluation. « Le salarié va auto-évaluer quel est son niveau de charge, quel est le niveau d’autonomie qu’il a, à quel niveau il se sent soutenu. »

En France, l’enquête SUMER a fixé des repères : une demande psychologique supérieure à 21 et une latitude décisionnelle inférieure à 72 signalent une situation de tension.

Les limites des modèles : la subjectivité à ne pas oublier

Ces outils restent utiles, mais ils ont leurs limites. « Karasek va identifier des facteurs qui peuvent générer du stress, mais il ne prend pas en compte la perception individuelle », insiste Michel Abitteboul. Deux personnes, face à la même tâche, ne réagiront pas de la même manière. L’une peut la trouver insurmontable, l’autre stimulante. Il identifie ainsi trois dimensions à observer :

  • la charge cognitive (« qu’est-ce que je pense par rapport à cette tâche »),
  • la charge émotionnelle (« est-ce que je vais être jugé, est-ce que je me sens compétent »),
  • la capacité d’action (« est-ce que j’ai du temps, des ressources, du soutien »).

« Quand on a une grosse charge cognitive, une grosse charge émotionnelle et une faible capacité d’action, ça génère de la surcharge mentale », résume-t-il.

Atténuer le job strain : trois niveaux d’action

1) Au niveau individuel : reprendre prise sur son travail

Le premier levier se situe du côté du salarié lui-même. Une fois le diagnostic posé via un questionnaire, plusieurs pistes sont possibles : clarifier les attentes pour réduire la charge cognitive, demander du feedback pour apaiser la charge émotionnelle, négocier du temps ou des ressources pour renforcer sa capacité d’action.

Autre facteur clé : s’appuyer sur ses moteurs personnels. « L’équation de l’autonomie c’est motivation fois compétence », insiste Michel Abitteboul. Autrement dit, identifier ce qui donne de l’énergie, là où l’on a envie de progresser, permet de retrouver du pouvoir d’agir. Enfin, l’expert ajoute un point clé : « La capacité d’adaptation évolue… un job qui peut être sous tension au départ peut devenir plus soutenable avec le temps. »

2) Au niveau managérial : humaniser la tâche

« Les managers sont exactement à la croisée des deux mondes : ils gèrent des contraintes organisationnelles… et en même temps ils doivent être attentifs aux individus, à leurs ressentis et leurs perceptions », explique Michel Abitteboul.

Leur rôle ? Traduire ces contraintes pour les rendre vivables. « Le manager, c’est lui qui va humaniser la tâche d’une certaine façon. » Cela suppose de connaître ses collaborateurs, ce qui n’est pas toujours évident avec de très grandes équipes. Enfin, il s’agit d’adapter son style de management, à la manière du management situationnel. « Je vais adapter mon style en fonction de qui j’ai en face de moi », décrit-il.

3. Au niveau organisationnel : agir sur le cadre de travail

Au-delà des individus et des managers, certaines réponses relèvent directement de l’organisation. Pas de recette miracle, mais des principes communs. « Il faut repartir des besoins fondamentaux du cerveau : sécurité, confiance, plaisir et sens », souligne Michel Abitteboul.

Et pour ce faire, certaines entreprises testent des organisations alternatives. Chez VYV Écoute & Solutions (Groupe VYV), le département RH a choisi d’expérimenter la gouvernance partagée. L’ambition : clarifier les rôles, donner plus de marges de manœuvre et renforcer le sens du travail. Concrètement, l’équipe s’est organisée en cercles : « L’idée est de proposer des mandats qui déterminent des rôles sur une durée donnée. Cela permet aux membres de l’équipe de tester et d’apprendre de nouvelles compétences, de clarifier les périmètres de décision et de proposer des trajectoires plus variées », explique Katrin Cornudet, DRH de VYV Écoute & Solutions.

Depuis son lancement (janvier 2025), l’expérimentation a déjà produit des résultats visibles : plus d’autonomie dans les décisions, un développement accru des compétences, une motivation renforcée et un allègement de la charge managériale, le tout dans un climat de coopération. « Nous réfléchissons déjà à la manière “d’essaimer” ce modèle dans d’autres services », conclut Flora Hermet-Daubech, directrice de l’engagement et de l’environnement, VYV Écoute et Solutions.

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Diplômée de l’ESC Reims, Laure Girardot a 10 ans d’expérience en tant que consultante en change management, communication et ressources humaines. Aujourd’hui, elle est journaliste indépendante travail, RH et management.

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