Sur le site web, c’est “Bienveillance”. Sur le mur de la cafétéria, “Esprit d’équipe”. Vous avez même reçu un carnet siglé “Transparence” lors de votre journée d’intégration. Ces valeurs vous ont plu, elles ont même peut-être pesé dans votre décision de rejoindre l’entreprise.
Pourtant, au quotidien, la réalité est bien différente. “L’esprit d’équipe” ressemble davantage à une compétition interne, la “bienveillance” s’arrête net lors des réunions où les critiques acerbes sont publiques, et la “transparence” est un mot bien opaque pour décrire des décisions prises en comité fermé.
Ce grand écart entre le discours affiché et la réalité vécue est l’une des sources de frustration les plus profondes au travail. Alors, que faire ? Serrer les dents jusqu’à devenir cynique ? Ou est-il possible d’agir sans se mettre en danger ?
Pourquoi ce décalage fait-il si mal ?
Avant de passer à l’action, il est essentiel de déculpabiliser. Si vous vous sentez frustré, voire trahi, c’est parfaitement normal. Les valeurs d’une entreprise ne sont pas que de la décoration. En postulant, vous avez, consciemment ou non, adhéré à une promesse. Quand cette promesse n’est pas tenue, c’est le contrat de confiance fondamental qui se brise.
Le premier réflexe, pour se protéger, est souvent le cynisme : “De toute façon, tout ça, c’est du marketing”. Si cette réaction est compréhensible, elle est aussi épuisante à long terme et tue la motivation.
La première étape constructive pour prendre du recul et analyser la situation est de poser un diagnostic.
Ce décalage que vous vivez est-il :
- Systémique : c’est toute la culture de l’entreprise qui fonctionne ainsi ?
- Local : c’est surtout votre service, ou votre manager direct, qui dysfonctionne et n’est pas aligné sur les valeurs de l’entreprise ?
La réponse à cette question est cruciale, car elle va conditionner la nature de vos actions.
4 étapes concrètes pour (ré)agir
Puisque vous ne pouvez pas changer toute la culture de l’entreprise, l’objectif est de reprendre le contrôle sur votre propre expérience et votre bien-être.
1. Passer de l’émotion aux faits
Votre frustration est légitime, mais pour agir, elle doit s’appuyer sur du concret. Sortez du “j’ai l’impression que…” pour aller vers le “je constate que…”.
Prenez un carnet et faites deux colonnes :
- Colonne 1 : la valeur affichée (exemple : “respect”)
- Colonne 2 : les faits précis qui la contredisent au quotidien (exemple : “Interruption systématique en réunion”, “Feedback uniquement négatif”).
Cet exercice vous permet d’objectiver la situation et de mesurer la fréquence et la gravité du problème.
2. Incarner la valeur à votre échelle
C’est la stratégie la plus puissante pour votre propre moral. Puisque l’entreprise échoue à appliquer ses valeurs, appliquez-les vous-même.
Si la valeur est “l’entraide”, proposez activement votre aide à un collègue en difficulté. Si c’est “la transparence”, partagez de manière proactive une information utile à l’équipe. Vous ne changerez pas l’entreprise, mais vous créerez une bulle de cohérence autour de vous. C’est reprendre le pouvoir sur son environnement immédiat.
3. Tenter le dialogue
C’est l’étape la plus délicate. Il ne s’agit pas d’arriver dans le bureau de votre manager en l’accusant de mentir. Il s’agit d’utiliser les valeurs officielles comme un levier.
Vous pouvez, par exemple, dire lors d’un point : “J’ai vu que [la valeur X] était un pilier important pour nous. J’apprécie beaucoup cela et j’aimerais qu’on réfléchisse à comment on pourrait l’appliquer encore plus au quotidien dans l’équipe. J’avais quelques idées…”
Vous prenez l’entreprise au mot. La réaction (ouverture, gêne ou fermeture) sera un excellent indicateur pour la suite.
4. Définir vos propres lignes rouges
Vous avez tout tenté, mais le décalage est toujours là. L’honnêteté, c’est aussi d’accepter qu’on ne peut pas tout changer. C’est le moment de clarifier vos “non-négociables”.
Demandez-vous : ce décalage touche-t-il une valeur fondamentale pour moi (comme l’intégrité ou le respect) ou une valeur plus secondaire ? Si vous constatez que cette situation vous coûte plus en énergie et en santé mentale qu’elle ne vous apporte, c’est que votre limite personnelle est atteinte.
La seule action saine est alors de vous protéger, ce qui peut signifier, à terme, d’envisager un environnement plus aligné.
Vos valeurs ne sont pas (juste) de la décoration
Faire face à cette dissonance de valeurs est un marathon épuisant pour la motivation. Que vous parveniez à créer un îlot de cohérence dans votre équipe ou que vous décidiez que le jeu n’en vaut plus la chandelle, vous aurez repris le contrôle en agissant.
Une entreprise peut choisir de n’utiliser ses valeurs que comme des affiches. Mais vous, vous n’êtes pas obligé d’ignorer les vôtres. Votre boussole interne est votre meilleur atout professionnel. Ne laissez personne la dérégler.
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