Autour d’elle, le débat est animé. La semaine de 4 jours fait rêver autant qu’elle suscite de questions et d’inquiétudes. Pourtant, les expérimentations positives montrent qu’une façon de mieux travailler et de mieux vivre est possible. Retour d’expériences.
Elle a été la pionnière. De 2015 à 2019, l’Islande lance une expérimentation inédite : réduire le temps de travail de 40 heures à 36 ou 35 heures, sans réduction de salaire, pour 2 500 travailleurs. Le succès est au rendez-vous, avec une augmentation de la productivité et du bien-être des salariés. Depuis, 86 % des Islandais ont adopté la semaine de 4 jours et des expérimentations sont en cours partout dans le monde : du Royaume-Uni dès 2022, avec une soixantaine d’entreprises ayant participé à un test grandeur nature pendant 6 mois, à l’Espagne, où Valence a fait figure de ville pilote en 2023.
Verdict ? Les habitants interrogés ont donné la note de 7 sur 10 à l’expérience. Ce qu’ils ont apprécié : les effets positifs sur la santé, la conciliation entre travail et vie personnelle, ainsi que l’enrichissement de leur vie sociale, avec plus de temps en famille et avec les amis. Ils décrivent une baisse de stress, l’amélioration de leur sommeil et de leur qualité de vie, mais ils n’en ont pas tous profité de la même manière. 42 % des hommes disent avoir fait plus de sport, contre 33 % des femmes. Celles-ci mettent en avant l’attention à leurs proches : 51 % ont consacré plus de temps aux personnes dépendantes de leur entourage (contre 36 % des hommes), et 53 % plus de temps aux loisirs des enfants (contre 30 % des hommes). En France, 37 % des salariés préféreraient travailler 4 jours par semaine en conservant le même salaire, selon l’enquête People at Work 2023 d’ADP. Mais les entreprises qui l’ont adoptée restent peu nombreuses.
Une France encore frileuse
L’idée fait quand même son chemin : en 2024, le premier ministre Gabriel Attal avait demandé à ses ministres d’expérimenter la semaine en 4 jours, c’est-à-dire sans réduction du temps de travail, dans leurs administrations. Ce qui freine souvent ? “De nombreux dirigeants considèrent encore que l’on mesure la performance au nombre d’heures travaillées, estime Jérôme Friteau, DRH de l’Assurance retraite Caisse nationale, qui a lancé un test de la semaine de 4 jours en février 2023 auprès de 20 salariés. Productivité, organisation du travail, management… Cette organisation pose d’innombrables questions. Quand Laurent de la Clergerie, patron de l’enseigne spécialisée dans la vente de matériel informatique LDLC, a annoncé sa mise en place en 2021 pour améliorer la qualité de vie de ses salariés, avec la réduction du temps de travail à 32h, une partie des salariés a d’abord pris peur : “Certains m’ont dit ‘On n’y arrive déjà pas en cinq jours, alors en 4 !’ J’avais prévu que le passage aux 4 jours me coûterait 5 % de la masse salariale en recrutements Une autre crainte concernait le planning : comment l’organiser sur 4 jours sans fermer l’entreprise un jour ? Cela devait être transparent pour les clients. On a tout remis à plat et ça a marché. La dernière inquiétude concernait les managers qu’il a fallu former à être en position d’accompagnants et non de contrôle.”
Un remède aux maux du travail ?
Quatre ans après l’instauration de la semaine de 4 jours, le bilan est très positif chez LDLC : l’absentéisme a été divisé par 2, comme les accidents du travail. La croissance a bondi. “+40 %, sans besoin de recruter finalement, raconte Laurent de la Clergerie. L’équation peut paraître contre-intuitive, mais les gens travaillent plus car ils ont plus de temps pour se reposer et sont plus efficaces au travail les jours de présence.” Meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, productivité équivalente ou meilleure, regain de motivation… Les bénéfices à la semaine de 4 jours sont nombreux. À tel point que des secteurs qu’on n’avait pas imaginé l’adopter la testent aujourd’hui, comme le bâtiment, la menuiserie… “J’ai été surpris de constater que dans la partie logistique, les gens produisent plus aussi, témoigne Laurent de la Clergerie. Moins fatigués, ils ressentent moins de lassitude du job et retrouvent plus vite de l’énergie.”
Dans une France très attachée à la philosophie du “travailler plus” avec les conséquences qu’on connaît en termes de burn-out, de désengagement et d’absentéisme, la semaine de 4 jours pourrait-elle réconcilier les déçus et les abîmés du travail ? Oui, répond Laurent de la Clergerie : “Le problème n’est pas que les gens n’aiment pas leur boulot, mais qu’ils sont débordés, ils n’arrivent plus à gérer. La semaine de 4 jours peut permettre de retrouver l’équilibre. L’adopter, c’est changer la vie de ses salariés et leur offrir un mode de vie qui leur permet de mieux travailler.” À l’Assurance retraite Caisse nationale, qui n’a pas réduit les horaires de travail, les salariés testeurs ont donné une note de 9,4/10 après un an d’expérimentation. “Notre inquiétude portait sur l’intensification de la journée de travail, qui passait à 8h45 ou 9h15. Pour la grande majorité, la fatigue générée par les journées plus longues est compensée par le jour off qui vient équilibrer la fatigue générale sur la semaine”, avance Jérôme Friteau.
Les limites de la semaine de 4 jours
Un bémol pour le DRH : “Cela exige un rythme de vie sain, une rigueur dans l’organisation de la vie”. Autre bénéfice : la semaine de 4 jours permet de bien cloisonner ses vies, là où la flexibilité les rend beaucoup plus poreuses. “Elle a un intérêt majeur pour ceux qui cumulent les vies, confirme Jérôme Friteau, qu’il s’agisse d’une vie sportive, associative, d’aidant, de jeune parent ou d’un autre emploi.” Malgré ses bénéfices indéniables, la semaine de 4 jours n’est pas un graal absolu. En témoignent les expérimentations ratées et les réserves quant à la semaine en 4 jours, comme à l’Urssaf de Picardie où la possibilité de concentrer leurs horaires sur 4 jours n’a convaincu que 3 salariés sur 200 éligibles.
En cause, notamment : des journées trop longues, peu compatibles avec une vie de famille. “Les études en santé au travail montrent qu’il vaut mieux faire des journées plus courtes et avoir moins de vacances, plutôt que l’inverse, commente Denis Monneuse, chercheur à l’UCO (université catholique de l’Ouest) et directeur du cabinet Poil à Gratter. Il n’est pas productif de travailler de la même façon en concentrant plus ses horaires : on finit par saturer, on risque des erreurs de concentration… Les expériences positives de semaines de 4 jours sont le fruit d’une réflexion collective pour réorganiser le travail individuellement et collectivement.” Certains garde-fous permettent de tester et d’ajuster cette nouvelle organisation. À l’Assurance retraite Caisse nationale, des chercheurs en neurosciences ont mesuré ses effets sur la charge mentale, la productivité, les liens sociaux. “Passer à quatre jours nécessite de chasser les temps morts, de réinterroger sa participation aux réunions, leur durée, d’optimiser sa journée, continue Jérôme Friteau, qui conseille “de se lancer à petite échelle en mode expérimental.”
“Modèle qui fait le plus de bien au plus de monde” pour Laurent de la Clergerie, “formule de personnalisation de l’organisation de travail parmi d’autres”, qui vient s’ajouter à d’autres dispositifs (horaires flexibles, télétravail…) pour Jérôme Friteau, la semaine de 4 jours fait figure d’avantage concurrentiel de taille dans un marché de l’emploi tendu où on peine à recruter des talents dans certains secteurs. Mais elle constitue avant tout une invitation à réfléchir au travail de demain. “L’avenir, c’est de faire du sur-mesure, de proposer une flexibilité qui réponde aux attentes des uns et des autres, sans entrer dans le gré à gré, de passer de l’égalité à l’équité, assène Jérôme Friteau. Cela suppose de basculer dans un management par objectif plutôt que par temps de présence et horaires de travail, donc de former les managers dans la prise en compte des singularités des collaborateurs.”
Même son de cloche chez Nicolas Arnal-Bertrand, associate partner chez EY : “Le vrai enjeu pour les entreprises, c’est de faire vivre une expérience à leurs collaborateurs, qui, demain, seront moins considérés comme des salariés que comme des clients. On va vers une organisation du travail de plus en plus individualisée. La semaine de 4 jours est un outil exploratoire qui va permettre aux organisations de tester leur capacité à penser des dispositifs plus souples et à gagner en agilité. Et surtout avec l’arrivée sur le marché du travail de la génération Z qui va, elle, chercher à gagner en indépendance.”
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