“On peut être seul sans souffrir, ou entouré et pourtant se sentir terriblement seul.” Arnaud Goulliart, délégué général de la Fédération française pour les liens sociaux et consultant en santé publique, met en lumière un phénomène discret mais massif : la solitude au travail.

Première précision essentielle : solitude et isolement ne sont pas synonymes. “L’isolement social, c’est une situation objective, peu ou pas de contacts sociaux. La solitude, c’est une expérience subjective que nous avons tous connue”, souligne Arnaud Goulliart dans le 41ème épisode de notre podcast “Good Job” (à écouter via le player ci-dessous). La souffrance vient de l’écart entre les relations souhaitées et celles vécues. Autrement dit, on peut se sentir seul dans un open space bondé ou en étant hyperconnecté.

Dix millions de Français concernés

En France, la solitude n’est pas marginale. “Environ 15 % des Français se déclarent seuls la plupart du temps, soit plus de dix millions de personnes” précise Arnaud Goulliart . Deux pics générationnels sont touchés : les jeunes adultes et les personnes âgées. Selon un sondage IFOP, “62 % des jeunes de 18 à 24 ans se sentent seuls régulièrement, contre 37 % des plus de 65 ans.” Et le monde du travail n’est pas épargné : “Un salarié sur cinq déclare souffrir de solitude.” Pourtant, le sujet reste tabou. “On parle beaucoup plus facilement de santé mentale ou de burn-out que de solitude, en particulier chez les jeunes.”

Le télétravail, un faux coupable ?

Souvent accusé d’aggraver l’isolement, le télétravail n’est pas forcément un facteur de solitude : “Tout dépend de la façon dont le travail est organisé et dont la personne en télétravail entretient ses relations. Être en présentiel n’est pas non plus une garantie. La clé, c’est la qualité des liens.”

Quand faut-il s’inquiéter ?

La solitude devient problématique quand elle s’installe. “Ce qui doit nous inquiéter, c’est quand elle devient régulière, persistante, même si elle est acceptée. Si on se replie, qu’on perd l’envie de rencontrer, qu’on rumine beaucoup, c’est un signal”, explique Arnaud Goulliart.

Des liens protecteurs

Au travail, les liens sociaux ne sont pas accessoires. “Ils protègent chacun et renforcent le collectif. Une équipe où les liens sont solides fait face plus facilement aux crises. C’est un facteur d’adaptation et de résilience essentiel pour les organisations.” Mais plus que la quantité, c’est la profondeur qui compte : “Un lien de qualité, c’est un lien où vous pouvez être vous-même, être entendu, compris.”

L’illusion du lien par l’IA

La tentation de remplacer la relation humaine par la technologie est forte. Mark Zuckerberg a ainsi évoqué le développement d’outils basés sur l’intelligence artificielle pour lutter contre la solitude. Arnaud Goulliart reste sceptique : “L’IA peut donner l’impression d’une présence, mais ce n’est qu’un miroir de soi. Elle ne remplacera jamais la relation humaine. Rien ne remplace un regard, un contact physique, un silence partagé.”

Responsabilité des entreprises et des managers

Pour lui, les entreprises ont un rôle clé. “Il s’agit de développer une culture de la connexion humaine : instaurer des rituels, encourager le travail collaboratif, aménager des espaces favorisant les rencontres.” Les managers sont particulièrement concernés. “Plus on a de responsabilités, plus le risque de solitude est grand. Les pratiques de pair-à-pair fonctionnent très bien. Un manager peut aussi aborder la question de la solitude lors des entretiens, poser la question, la mesurer.”

Inspirations venues d’ailleurs

Ailleurs, certaines pratiques inspirent : “En Suède, le rituel du Fika, la pause café sans portable, favorise les échanges authentiques. Au Japon, des cercles de soutien entre collègues préviennent l’isolement. Aux États-Unis, certaines entreprises emploient des professionnels dédiés à la promotion du lien social.”

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Diplômée de Sciences-Po Paris, Fabienne Broucaret a fondé My Happy Job en 2016. Elle est aussi la rédactrice en chef de Courrier Cadres, Rebondir et L'officiel de la franchise. Elle anime le podcast "Good Job" et co-anime le podcast "Les petits cailloux" avec Aurélie Durand. Elle a écrit "Mon Cahier Happy at Work" (Solar) et "Télétravail" (Vuibert). Elle a aussi co-écrit “2h chrono pour déconnecter (et se retrouver)” avec Virginie Boutin (Dunod).

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