Pris entre exigences économiques et tensions sociales, les DRH subissent une pression inédite. Leur mal-être révèle une crise plus large du leadership et du dialogue social. Pour éviter la rupture, il est urgent de revaloriser cette fonction clé et de lui redonner les moyens d’agir.

Une fonction en surchauffe

Dans un contexte politique instable, marqué par des tensions sociales et une incertitude institutionnelle croissante, les directions des ressources humaines sont à bout de souffle. Le dernier baromètre Teale le montre clairement : près de quatre DRH sur dix envisagent de quitter leur entreprise pour préserver leur santé mentale. Ce chiffre illustre l’épuisement systémique d’une fonction pourtant essentielle à la cohésion du travail.

Les périodes de réduction de coûts fragilisent directement la fonction RH, en première ligne lors des plans d’économies. Les entreprises reviennent sur le télétravail, restreignent les budgets de formation, ralentissent les recrutements. La pression sur la performance s’accentue, tandis que les marges de manœuvre se réduisent. Entre salariés inquiets de leur avenir et directions focalisées sur la rationalisation, l’équation devient intenable.

Quand l’entreprise ne fait plus rêver

Ce malaise dépasse la simple fatigue professionnelle : il traduit une perte de foi dans la promesse d’un travail porteur de sens et d’épanouissement. L’incertitude économique, les tensions politiques et la complexité croissante des organisations créent un climat de défiance généralisée. Les salariés doutent du futur de leur emploi, les managers s’épuisent, et les RH, au carrefour de ces tensions, voient s’éroder la confiance qu’ils s’efforcent d’entretenir.

Dans de nombreuses entreprises, le manque de dialogue devient le premier facteur de désengagement. Les décisions stratégiques (retour sur site, réorganisation, gel des embauches) sont parfois prises sans concertation ni explication. Or, la confiance s’abîme à mesure que la transparence recule. À chaque transformation mal expliquée, à chaque promesse non tenue, elle s’effrite un peu plus, jusqu’à atteindre le cœur du lien social : la parole RH elle-même.

Un grand écart intenable

La fonction RH doit aujourd’hui répondre à une accumulation d’attentes contradictoires : accompagner les transformations, veiller à la santé mentale, maintenir la cohésion, assurer la conformité juridique, anticiper les impacts de l’IA sur les métiers et les compétences… tout en gérant des équipes réduites et des budgets en berne.

Ce déséquilibre structurel alimente un sentiment d’impuissance et une perte d’attractivité du métier. Dans certaines entreprises, les RH sont réduits à un rôle d’exécution : faire appliquer des décisions sans en être partie prenante. Ce déclassement, à la fois symbolique et opérationnel, nourrit la frustration et l’épuisement. Quand les gardiens du lien social craquent, c’est tout le système qui vacille.

Le “RH bashing”, symptôme d’un malentendu

Sur les réseaux sociaux, la défiance s’exprime désormais au grand jour. Le “RH bashing” est devenu monnaie courante : on reproche aux RH leur froideur, leur distance, leur manque d’écoute. Mais ce que certains interprètent comme un manque d’implication de la part des RH est en réalité le reflet d’un manque de moyens.

Les équipes RH n’ont pas cessé d’écouter, mais ont cessé de pouvoir tout faire. La fonction est devenue le « cordonnier le plus mal chaussé » : toujours tournée vers les autres, rarement accompagnée elle-même. Cette solitude professionnelle accentue la fatigue et renforce le sentiment d’isolement. Les dispositifs de formation continue, les espaces d’échange entre pairs et les soutiens institutionnels méritent encore grandement d’être renforcés pour répondre à l’ampleur des besoins.

Un enjeu de gouvernance et de leadership

La crise des RH révèle en réalité une crise plus large du leadership. Dans nombre d’entreprises, la gouvernance s’est recentrée sur la performance à court terme, au détriment du dialogue et du sens. Les directions les plus résilientes sont pourtant celles qui continuent d’investir dans leurs équipes humaines, même en période de tension économique.

Il ne s’agit pas seulement de moyens budgétaires, mais de reconnaissance et de place dans la décision. La fonction RH doit être considérée comme un levier stratégique, capable d’influencer les orientations de l’entreprise, et non comme une variable d’ajustement. L’isolement d’un DRH, privé de relais et de moyens, devrait être perçu comme un signal d’alerte pour l’ensemble de l’entreprise.

Revaloriser et préserver

Revaloriser la fonction RH suppose avant tout de lui rendre la place et le respect qu’elle mérite. Il s’agit de reconnaître sa contribution directe à la stabilité et à la performance des organisations, mais aussi de lui redonner le droit à la préservation. Savoir hiérarchiser, refuser l’impossible, poser des limites claires : ces gestes de lucidité sont aujourd’hui indispensables. Trop de promesses épuisent les équipes et minent la crédibilité du discours.

Les RH doivent pouvoir se former tout au long de leur carrière, partager leurs expériences, bénéficier de soutien psychologique et professionnel. Le bien-être des RH conditionne celui des salariés. Leur santé mentale devrait devenir un indicateur stratégique du climat social, suivi avec la même attention que le turnover ou l’absentéisme.

Redonner souffle à l’humain

Le malaise des RH révèle en creux la fragilité de notre modèle de gouvernance. Quand la fonction chargée de maintenir le lien social s’épuise, tout le système s’asphyxie. Redonner souffle et moyens à la fonction RH permet à l’entreprise de retrouver sa respiration.

Ainsi, la revalorisation des métiers RH n’est pas un enjeu périphérique, mais une condition de survie collective. Sans eux, aucune transformation ne peut tenir. En redonnant à la fonction RH les moyens d’agir, l’entreprise renforce à la fois sa performance et la qualité de son lien humain.

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Ancien associé d'Alixio, Arnaud Gilberton est le fondateur d'idoko, cabinet de conseil en Ressources Humaines. Il est par ailleurs directeur pédagogique à l'ESSEC.

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