Le secteur public n’échappe pas à la crise du travail. Tandis que les derniers baromètres pointent une dégradation de la santé mentale des agents publics, certaines collectivités locales déploient des réponses concrètes pour enrayer le désengagement, l’absentéisme et améliorer les conditions de travail.

Si le secteur privé n’est pas épargné, les signaux d’alarme inquiétants sont exacerbés dans la fonction publique. Ainsi, en 2022, un agent s’absentait en moyenne 14,5 jours par an, contre 11,7 jours dans le privé. Les résultats du 15e baromètre du bien-être au travail de “La Gazette – MNT” (2024) soulignent, quant à eux, un niveau de fatigue nerveuse élevé (3,5/5) chez les agents publics territoriaux. Ces derniers sont également 75 % à déclarer un niveau de stress important.

Un autre baromètre, mené en 2023 auprès de 1 800 agents territoriaux, sous l’impulsion de Moodwork et idealCO avec la participation de la Mutuelle Nationale des Fonctionnaires des Collectivités Territoriales (MNFC), atteste de la même tendance : 49 % des répondants se disent en surcharge de travail au moins une fois par semaine, 45 % se sentent épuisés plus d’une fois par semaine, et 36 % affirment travailler régulièrement en dehors de leurs horaires habituels. “Aux clichés sur les fonctionnaires, la réalité oppose des personnes investies, mais trop souvent seules face à des conditions qui se dégradent”, commente Clément Poirier, docteur en psychologie sociale et responsable du pôle recherche chez Moodwork.

En effet, le sens du travail demeure un moteur puissant : près de 80 % des agents interrogés estiment que leur mission est utile. “Il existe une dissonance entre l’attachement au service public et les moyens donnés pour bien mener son travail. C’est là que se loge une forme de souffrance spécifique au secteur public”, ajoute Clément Poirier. Cette situation est d’autant plus préoccupante qu’elle reste peu adressée : seuls 31 % des répondants ont déjà été sensibilisés aux risques psychosociaux.

Selon le baromètre “La Gazette – MNT”, les racines de ce mal-être tiendraient d’abord à une organisation du travail jugée défaillante par 44 % des agents, marquée par des charges croissantes, des missions toujours plus nombreuses et des moyens humains insuffisants. À cela s’ajoutent des difficultés relationnelles avec la hiérarchie (37 %) et une reconnaissance mitigée : si 55 % des agents déclarent être reconnus par leur hiérarchie, ce chiffre reste jugé insuffisant. Du côté du baromètre Moodwork, le constat est encore plus sévère : seuls 40 % des agents disent se sentir reconnus par leurs supérieurs. “Il y a un vrai problème de reconnaissance, en particulier chez les non-managers. Beaucoup estiment ne recevoir que rarement un retour positif de leur hiérarchie. Et cela pèse lourd dans l’engagement au quotidien”, souligne Clément Poirier.

Un laboratoire RH

Face à ce constat, certaines collectivités, comme la ville de Poissy, ont déployé des dispositifs en faveur de la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT). Dès 2014, un pacte RH ambitieux y a en effet été lancé. Il est structuré autour de quatre axes : égalité professionnelle, qualité du management, accompagnement des parcours et qualité de vie au travail. À travers ce cadre, la ville a mis en œuvre des actions innovantes pour réduire l’absentéisme compressible (arrêts de courte durée et accidents du travail) qui représentait alors un coût annuel de 1,5 million d’euros. “Il ne s’agissait pas seulement d’agir sur les symptômes, mais aussi de prévenir les causes profondes, en investissant dans la santé physique et mentale, ainsi que sans l’équilibre de vie des agents”, explique Antoine Rialland, DGRH à la Ville de Poissy.

En 2017, la ville a également lancé le dispositif Poissy Bien-Être, pionnier en la matière. Il permet aux agents volontaires, avec l’accord de leur manager, de bénéficier chaque semaine d’un créneau de deux heures sur leur temps de travail pour pratiquer une activité physique. Les sessions — validées par la médecine du travail — se déroulent sur un cycle de dix semaines et couvrent un large éventail d’activités : gym douce, natation tous niveaux, marche, aquagym ou encore badminton. Le succès est immédiat : 200 agents inscrits dès le lancement, 150 à 200 participants par session aujourd’hui (sur 800 agents), un taux de retour de 98 %, 4,9/5 de satisfaction. Le nombre moyen de jours d’absence est également passé de 20,5 à 14 jours par an et par agent en dix ans. “Il est compliqué d’isoler le facteur qui explique la baisse de l’absentéisme, mais cela en fait partie”, précise Antoine Rialland.

Autre volet de cette politique de prévention : la mise en place, en 2022, d’une cellule d’écoute psychologique accessible 24h/24 et 7j/7, en partenariat avec l’assureur de la collectivité. Ce service vise à répondre à la difficulté croissante d’accès aux soins psychiques. Il complète les ressources déjà disponibles (médecin du travail, psychologues) en offrant un accompagnement confidentiel aux agents confrontés à une détresse, qu’elle soit d’origine professionnelle ou personnelle. “Dans la mesure où notre priorité est la qualité du service rendu aux habitants, il nous semble que le bien-être au travail de nos collaborateurs est une logique que nous devons poursuivre sans relâche”, souligne Antoine Rialland. Les expérimentations RH ne s’arrêtent pas là : la ville a aussi testé la flexibilité sous plusieurs formes. D’abord le télétravail, autorisé à l’origine de manière exceptionnelle, a été élargi à plus grande échelle après la crise sanitaire via un accord-cadre : deux jours maximum par semaine, selon les postes. Autre mesure emblématique ? La possibilité pour certains agents de libérer un vendredi après-midi sur deux, sans rupture de service, afin de concilier vie personnelle et engagement professionnel. De l’usage des exosquelettes à l’accueil des animaux de compagnie, la ville de Poissy explore d’autres leviers pour améliorer le quotidien de ses agents. Une dynamique qui illustre une volonté de conjuguer bien-être au travail et impact de la fonction publique.

L’exemple de la métropole lyonnaise

La semaine de 4 jours, un levier de bien-être et d’attractivité

Depuis le 1er septembre 2023, la Métropole de Lyon teste la semaine de 4 jours auprès de 1 100 agents. Après six mois d’expérimentation, les résultats sont probants : 87 % des participants déclarent se sentir mieux, 43 % observent une diminution de leur stress et 60 % rapportent une fatigue moindre. Pour 84 % d’entre eux, cette organisation permet un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, tout en contribuant à une plus grande égalité entre les femmes et les hommes. Fort de ce bilan, le dispositif a été pérennisé en septembre 2024(1). La dynamique s’étend désormais à d’autres collectivités du territoire. Depuis janvier 2024, la ville d’Écully (Lyon) propose à ses agents de choisir leur rythme de travail : 5, 4,5 ou 4 jours, selon les services. L’objectif ? Allier performance du service public et qualité de vie au travail. Résultat : la moitié des 250 agents ont déjà opté pour ce nouveau rythme. Un choix qui séduit aussi les candidats à l’embauche : “Les postulants nous en parlent spontanément en entretien”, souligne le maire Sébastien Michel dans Le Figaro(2).

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(1) “Expérimentation de la semaine “en 4 jours” : la Métropole de Lyon pérennise le dispositif”, Métropole de Lyon, 25 juin 2024.
(2) “Près d’un an après son adoption, la semaine de quatre jours a conquis les fonctionnaires d’Écully” de Justin Boche, 11 novembre 2024.
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Diplômée de l’ESC Reims, Laure Girardot a 10 ans d’expérience en tant que consultante en change management, communication et ressources humaines. Aujourd’hui, elle est journaliste indépendante travail, RH et management.

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